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— J’étais censé être la copie d’un garçon de dix ans nommé Alzir, mais en réalité je ne suis personne.<br />
Je n’ai pas de nom. <strong>La</strong> Bête s’est séparée de moi, et depuis j’erre sur la plaine. Nous sommes nombreux<br />
dans ce cas. Le gaz hilarant n’a aucun effet sur nous, si bien que nous n’avons même pas la consolation de<br />
rire comme <strong>des</strong> abrutis.<br />
— Tu n’entretiens plus aucun contact avec la Bête ?<br />
— Non, elle s’est désintéressée de nous dès qu’elle a vu que nous étions ratés. Elle nous ignore. Elle<br />
ne peut pas nous détruire parce que nous sommes <strong>des</strong> morceaux de son corps, mais elle nous a rayés de sa<br />
mémoire. Elle ne nous parle jamais.<br />
Alzir s’assit sur une caisse. Il examina la marionnette Peggy et la marionnette chien, puis hocha la<br />
tête.<br />
— Y’a pas à dire, ricana-t-il, la Dévoreuse a fait de sacrés progrès ! Mes copains et moi on ne<br />
risquait pas de nous prendre pour <strong>des</strong> Terriens, ça c’est sûr !<br />
— Es-tu toujours forcé d’obéir à la Bête ? s’enquit l’adolescente.<br />
— Non, fit Alzir en haussant les oreilles collées à ses épaules. Le contact est rompu. Nous sommes<br />
libres d’aller à notre guise, le drame c’est que nous ne pouvons aller nulle part. Et puis nos corps sont si<br />
affreux que nous éprouvons même <strong>des</strong> difficultés à nous regarder les uns les autres quand nous sommes<br />
entre nous !<br />
— Combien êtes-vous ?<br />
— Au moins trois cents… peut-être davantage. Dans les premiers temps la Bête ne maîtrisait pas les<br />
techniques de modelage. Nos organismes restent instables, nos organes se promènent. Parfois mes yeux<br />
changent de place, je n’y peux rien. Ou mes doigts se mettent à rétrécir. Quand ils deviennent trop petits<br />
je ne peux plus rien attraper. Nous nous regroupons. Quand on est deux ou trois c’est plus facile de<br />
s’entraider. Nos handicaps se complètent.<br />
— Tu connais les projets de la Bête ?<br />
— Oui, mais ça ne représente pas grand-chose pour nous, les ratés. Nous n’avons aucune idée de ce<br />
qui existe hors de l’œuf. Le monde du dehors est un grand mystère. C’est normal puisque nous avons<br />
toujours vécu ici. Depuis que la Bête s’est séparée de nous, ses pensées nous sont étrangères. Je ne me<br />
sens plus forcé de partager ses idées ou de lui obéir. Parfois, j’ai envie de grimper à la surface pour voir<br />
comment c’est… mais je pense que les gens de Kandarta n’apprécieraient pas ma physionomie, alors je<br />
reste ici, dans le noir, à écouter rire les enfants kangourous.