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Dans l’antre de la Bête<br />
<strong>La</strong> racine rampante mit trois jours pour atteindre la courbure interne de la coquille et amorcer sa<br />
<strong>des</strong>cente. Peggy Sue, qui avait présumé de ses talents de flûtiste, était au bord de l’épuisement. Quand<br />
elle s’arrêtait de jouer, le pseudopode s’immobilisait et restait accroché à la voûte, surplombant le<br />
gouffre ; ses radicelles verrouillées aux aspérités du terrain.<br />
— C’est super tant qu’il a encore de la force, remarqua le chien bleu, mais que se passera-t-il quand<br />
il commencera à s’affaiblir ?<br />
Les deux amis dormaient par à-coups, grignotaient <strong>des</strong> galettes et buvaient de la sève fermentée qui<br />
avait une saveur d’hydromel.<br />
— Je suis inquiète, avoua la jeune fille à son ami à quatre pattes, l’écorce de la racine devient de plus<br />
en plus molle… tu as vu ? On pourrait y graver nos noms du bout de l’index.<br />
— Cette espèce de carotte ambulante est en train de s’affaiblir, diagnostiqua le chien bleu. <strong>La</strong> sève se<br />
fait plus rare, elle irrigue de moins en moins les fibres du bois.<br />
— Je crois aussi qu’elle a du mal à remuer, et pourtant je ne joue pas plus mal que d’habitude. J’ai<br />
peur qu’elle se décroche bientôt. Lorsque ses forces diminueront, les radicelles deviendront incapables<br />
de s’agripper aux rugosités de la paroi. Nous tomberons en piqué… comme un avion qui s’écrase.<br />
En prononçant ces mots, elle regarda par-<strong>des</strong>sus bord, essayant de sonder l’abîme. Elle ne vit rien<br />
que la nuit.<br />
« Sebastian est quelque part en bas, songea-t-elle. J’irai le retrouver, coûte que coûte. Et s’il est mort,<br />
eh bien tant pis, je me fiche que la racine aille s’aplatir au fond de l’œuf ! »<br />
— Ne sois pas pessimiste, intervint l’animal. <strong>La</strong> situation n’est pas encore désespérée.<br />
*<br />
Ils perdirent la notion du temps. <strong>La</strong> racine, bien qu’affaiblie, continuait à <strong>des</strong>cendre, obéissant aux<br />
airs de flûte malhabilement exécutés par Peggy Sue.<br />
— <strong>La</strong> fin approche, haleta la jeune fille. Et puis j’ai les lèvres en sang, je n’arrive plus à souffler, ça<br />
me fait trop mal. J’ai l’impression que mes joues ont triplé de volume. À quelle pr<strong>of</strong>ondeur sommes-nous<br />
d’après toi ?<br />
— Kandarta est un gros œuf mais une petite planète, réfléchit le chien. Je dirais que nous avons<br />
parcouru la moitié du trajet. Nous sommes probablement à mi-hauteur.<br />
— Tomber dans la moitié d’un abîme c’est toujours tomber de trop haut ! s’esclaffa Peggy. Zut et<br />
rezut ! J’aurais dû confectionner ce parachute, nous serions <strong>des</strong>cendus en douceur.<br />
— Pas de regrets inutiles ; tu sais bien que Zita t’aurait prise la main dans le sac. Elle te surveillait en<br />
permanence.<br />
Les provisions épuisées, ils durent se résoudre à grignoter la chair du tubercule géant. Le cœur de la<br />
racine était mou, c’est ce qui lui permettait de rester aussi flexible. Hélas, cette chair dont la consistance<br />
rappelait celle de la pomme de terre avait un goût infect.