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Le jour continuait à baisser… les potences paraissaient peintes en noir. Le vent agitait leurs nœuds<br />
coulants. Sébastian serra les dents.<br />
L’avance <strong>des</strong> trois amis réveilla les corbeaux perchés sur les gibets. Leurs ailes se mirent à bruire.<br />
Sébastian agita son gourdin pour les dissuader de s’approcher. Bien qu’il ne voulût pas le montrer à<br />
Peggy Sue, il avait peur lui aussi. Se penchant, il inspecta les abords du chemin. Il grommela : ce qu’il<br />
avait pris pour <strong>des</strong> cailloux se révélait un amoncellement de crânes empilés de manière à former un muret<br />
qui s’étirait tout au long de la route. Le mur comportait <strong>des</strong> milliers de crânes. Les têtes <strong>des</strong> squelettes<br />
semblaient suivre du « regard » les déplacements <strong>des</strong> jeunes intrus.<br />
— Les pierres, souffla à cet instant Peggy Sue, tu as vu ? Ce sont <strong>des</strong>…<br />
Elle avait la voix qui tremblait et la paume <strong>des</strong> mains moite. Le jeune homme ne répondit pas.<br />
Qu’aurait-il pu dire ?<br />
— Allons, fit le chien bleu, il s’agit de vieux os éparpillés. Pas de quoi en faire une histoire. Si je<br />
déniche un beau tibia, je l’emporterai pour le grignoter en prenant mon temps. N’oubliez pas que je suis<br />
expert en ossements, et je puis vous assurer que tout ce que nous voyons là est bon à manger ! Cette cour<br />
est en fait un vrai supermarché pour les chiens !<br />
Ils parcoururent une centaine de mètres sous le regard vide <strong>des</strong> têtes de morts entassées. Le vent qui<br />
se levait faisait grincer les poutres <strong>des</strong> gibets.<br />
— Servallon m’a raconté que, à l’époque de la guerre contre les magiciens, la prison grouillait de<br />
monde, murmura Peggy. Des escoua<strong>des</strong> entières de bourreaux y <strong>of</strong>ficiaient en permanence, se relayant<br />
pour trancher la tête <strong>des</strong> sorciers ou les brûler sur <strong>des</strong> bûchers.<br />
— Tu n’as rien de plus drôle à raconter ? protesta le chien bleu. J’ai le poil qui se dresse sur<br />
l’échine ! Bon sang, si tu continues comme ça je serai mort de peur avant d’avant parcouru la moitié du<br />
chemin.<br />
— D’accord, fit Sebastian, ne nous affolons pas. Il s’agit de vieilles légen<strong>des</strong>. De toute façon il ne<br />
fait pas encore nuit. Les fantômes sortent uniquement la nuit, c’est bien connu.<br />
Peggy Sue s’agenouilla pour examiner le sol. Tout de suite, elle remarqua un frémissement anormal<br />
dans les fougères, comme si quelque chose rampait à l’abri <strong>des</strong> mauvaises herbes et <strong>des</strong> ronces. Un<br />
animal ? Elle en doutait. L’ancien scribe l’avait prévenue que les squelettes <strong>des</strong> condamnés avaient pour<br />
habitude d’arracher l’épiderme <strong>des</strong> intrus pour tenter d’en recouvrir leurs pauvres os dénudés.<br />
« Ils sont pitoyables, avait expliqué le vieil homme, il faut les voir écorcher leurs victimes afin de se<br />
fabriquer <strong>des</strong> vêtements en peau humaine. Ils endossent ensuite ces défroques pour se donner l’illusion de<br />
posséder un corps. Bien sûr, ces costumes se désagrègent vite, et tout est à recommencer ! Oui, les<br />
squelettes sont émouvants dans leur désir de redevenir <strong>des</strong> hommes. Mais ils sont surtout dangereux, très<br />
dangereux. »<br />
Sébastian serra sa main moite sur le manche du gourdin. Les fougères remuaient toujours.<br />
— En tout cas, moi je ne risque rien, ricana le chien bleu. Aucun squelette digne de ce nom ne<br />
voudrait s’habiller d’une peau de chien !<br />
Peggy Sue crut repérer une luisance ivoirine entre les feuilles, comme en produirait une tête de mort<br />
brillant au soleil. Mais peut-être s’agissait-il d’un caillou poli par l’usure, ou d’un morceau de marbre ?<br />
<strong>La</strong> luminosité était si médiocre qu’il devenait difficile d’émettre une hypothèse. Il fallait toutefois se<br />
garder <strong>des</strong> pièges de la raison raisonneuse. À trop vouloir se rassurer, on finissait par se jeter la tête la