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les recouvrir de terre arable pour y planter <strong>des</strong> arbres, du blé… Elle approchait ses yeux <strong>des</strong> crevasses et<br />
les espionnait, comme on peut épier quelqu’un par le trou d’une serrure. Puis les humains ont commencé à<br />
vouloir creuser <strong>des</strong> trous dans la coquille, pour en extraire de l’or, et elle n’a pas apprécié. Ensuite, les<br />
industriels ont eu l’idée d’utiliser les fissures du sol pour y déverser leurs déchets, leurs ordures. Tous<br />
ces poisons sont tombés sur la tête de la Dévoreuse, et elle s’est soudain retrouvée baignant dans un lac<br />
de saletés. Les ordures <strong>des</strong> hommes ! C’est à ce moment-là qu’elle s’est mise en colère et que la haine<br />
s’est emparée d’elle. Elle a déclenché <strong>des</strong> tremblements de terre pour abattre les usines, et les industries<br />
ont dû fermer leurs portes, les unes après les autres. Malgré cela, les hommes se sont obstinés à rester là,<br />
à trotter sur sa coquille, à répandre leurs ordures dans les crevasses. Alors elle a décidé de leur faire la<br />
guerre. De les harceler jusqu’à ce qu’ils s’en aillent enfin. Elle est chez elle. Elle a le droit d’exiger le<br />
départ <strong>des</strong> Terriens. Peux-tu comprendre cela ?<br />
Peggy Sue hocha la tête.<br />
— Alors écoute la véritable histoire de Kandarta, la planète œuf, poursuivit le vieillard. Si la bête a<br />
faim c’est en réalité la faute <strong>des</strong> hommes qui l’ont réveillée en posant leurs vaisseaux cosmiques sur sa<br />
coquille. Avant leur arrivée elle dormait… et elle aurait pu dormir encore dix mille ans s’ils n’avaient<br />
pas fait tant de bruit avec leurs machines, leurs voitures ! Tant qu’elle hibernait elle n’avait pas besoin de<br />
se nourrir. Elle somnolait, tapie au cœur de sa caverne de granit, de son œuf de pierre. Mais à la minute<br />
même où elle a ouvert les yeux, son estomac a crié famine, et elle a bien été obligée de songer à manger.<br />
Si elle a faim, c’est encore la faute <strong>des</strong> humains, qu’ils ne viennent donc pas se plaindre si elle enlève<br />
leurs enfants. Cela suffit à peine à la maintenir en vie ! Quand elle sortira de sa coquille sa colère<br />
s’abattra sur la ville. Son appétit sera insatiable ! Y aura-t-il assez d’enfants sur toute la planète pour le<br />
combler ?<br />
— Il faut empêcher cela, haleta Peggy Sue.<br />
— Sans doute, mais ce sera difficile.<br />
— Il y a, paraît-il, une arbalète géante au palais royal…<br />
Le scribe ricana :<br />
— Ranuck, le grand vizir, l’a laissée rouiller sous la pluie. Il ne l’utilisera jamais. Il a vendu son âme<br />
à la Dévoreuse. C’est le chef <strong>des</strong> compagnons de la pieuvre. Entre ses mains, le roi Walner n’est qu’un<br />
pantin. De l’autre côté du grand mur règne la folie… Vous n’y serez pas plus en sécurité qu’ici.<br />
— Nous devons y aller, insista la jeune fille. Pourriez-vous nous indiquer un chemin sûr ?<br />
— Il n’y en a pas, soupira le scribe. Les crevasses vous barreront partout la route, béantes, prêtes à<br />
vous avaler. Le seul moyen d’arriver à la grande porte serait de passer par l’ancienne prison…<br />
— <strong>La</strong> prison ?<br />
Servallon grimaça et, d’un doigt hésitant, gratta les croûtes de son visage.<br />
— Un sale endroit, bougonna-t-il. C’est là, jadis, qu’au terme de la première guerre contre les<br />
magiciens on a exécuté les suppôts de la Dévoreuse. On leur a coupé la tête, on les a pendus ou brûlés<br />
vifs, mais ils ne sont jamais vraiment morts…<br />
— Quoi ? haleta Peggy.<br />
— Hum, grommela le scribe d’un air embarrassé, je n’invente rien. On a eu beau les réduire en<br />
cendres, les pouvoirs de la bête <strong>des</strong> <strong>souterra</strong>ins les ont maintenus dans un semblant de vie. Ils se sont<br />
changés en fantômes… Du moins c’est ce qu’on raconte. Peut-être s’agit-il d’hallucinations fabriquées<br />
par le gaz <strong>des</strong> crevasses… Comment savoir ? Quoi qu’il en soit, les compagnons de la pieuvre ont peur<br />
de cet endroit, ils n’y mettent jamais les pieds. Que dis-je ? personne n’y met jamais les pieds ! Si vous<br />
réussissez à traverser sans encombre la cour <strong>des</strong> exécutions, vous ressortirez par la porte sud, ce qui<br />
signifie que vous serez alors de l’autre côté de la muraille, tout près du palais royal.