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La Bete des souterra.. - Index of

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somnambule dans le paysage enneigé, le visage empreint d’une béatitude qui lui déformait les traits. Les<br />

lèvres bleues, elle haletait en gloussant sottement. Une servante affolée essayait de lui faire réintégrer sa<br />

voiture.<br />

— Parfois ils marchent jusqu’à ce que le froid les congèle, déclara Ranuck. On les retrouve dans un<br />

fossé, plus rai<strong>des</strong> que <strong>des</strong> statues.<br />

— C’est affreux, s’insurgea Peggy.<br />

— Taisez-vous, petite idiote ! gronda Ranuck, vous ne pouvez pas comprendre. C’est une mort<br />

merveilleuse, au contraire.<br />

Il écarta le rideau d’un geste brusque et ajouta :<br />

— <strong>La</strong> voiture du roi est là-bas, finissons-en.<br />

Il ne se contrôlait plus et mourait d’envie de plonger sa bouche dans la neige. En dépit du froid, la<br />

sueur ruisselait sur son front. Il bondit hors de la voiture.<br />

Peggy le suivit malgré la répugnance qu’elle éprouvait à enfoncer ses pieds dans la couche<br />

poudreuse. À l’extérieur, le brouillard avait installé une atmosphère crépusculaire. <strong>La</strong> bourrasque rose<br />

recouvrait le sol et les chariots d’un tapis d’une mollesse extrême. L’adolescente eut l’impression<br />

d’évoluer dans un univers de crème fouettée. Le paysage ressemblait à une pâtisserie et ce sortilège<br />

donnait envie de mordre dans l’écorce <strong>des</strong> arbres pour s’assurer qu’ils n’étaient pas en chocolat.<br />

— Le chariot du roi est là ! haleta Ranuck qui piétinait dans la neige.<br />

Peggy Sue hocha la tête sans répondre. Elle était engourdie par le froid et la stupeur.<br />

« Je me suis égarée sur un gâteau géant, ne cessait-elle de penser, un gâteau géant. »<br />

Elle aurait voulu réagir, se reprendre, mais un étrange engourdissement s’emparait de son cerveau.<br />

Les flocons continuaient à se coller sur ses lèvres, à fondre dans sa bouche… Plus elle avançait, plus la<br />

montagne, le sol, les arbres lui apparaissaient sous l’aspect d’un amoncellement de sucre, de crème, de<br />

rubans de pâte d’amande. Le vent sentait le miel, les cailloux crissaient sous ses pieds telles <strong>des</strong> pépites<br />

de chocolat.<br />

« Je suis en train de devenir folle, se dit-elle, folle de gourmandise ! »<br />

Ils avaient atteint le chariot royal autour duquel patrouillaient deux centurions emmitouflés dans <strong>des</strong><br />

peaux de loup. Ranuck écarta la bâche de cuir et se hissa sur le marchepied. L’intérieur de la voiture était<br />

tapissé de fourrures et chauffé par un poêle de céramique. Un jeune homme maigre se débattait sur un lit<br />

encombré de coussins soyeux. Des servantes se pressaient autour de lui, épongeant la sueur qui ruisselait<br />

sur son front. Peggy reconnut Walner d’après les statues qui se dressaient dans les jardins du palais royal.<br />

Des yeux déments illuminaient sa grosse tête couverte de fins cheveux jaunes. Il se débattait, cherchant à<br />

échapper aux attentions <strong>des</strong> servantes, brandissant une cuillère d’or et une coupe vide.<br />

— Encore ! hurlait-il d’une voix de garçonnet capricieux. Encore. Je veux un autre sorbet, vite.<br />

Une femme se précipita, apportant une nouvelle coupe de neige rose. Walner y plongea aussitôt sa<br />

cuillère. Le froid lui avait bleui les lèvres, mais il ne cessait de transpirer comme si la fièvre le dévorait.<br />

Des veines palpitaient sur ses tempes et <strong>des</strong> frissons le parcouraient de la tête aux pieds.<br />

— Aaah ! râla-t-il en avalant une grosse bouchée de glace, c’est la nourriture <strong>des</strong> dieux. Ranuck !<br />

Mon bon Ranuck, c’est comme si je mangeais de l’ange… du chérubin cuit à point. C’est une chair si<br />

fondante, si… C’est cela, un ange, un jeune ange rôti à la broche, ou encore une sirène aux écailles<br />

rosées. Une petite sirène. As-tu déjà mangé de l’ange, Ranuck ? Ou de la sirène ?<br />

À présent il pleurait, au comble de la joie. Il ajouta :<br />

— C’est… c’est la chair d’un animal si fragile qu’il meurt dès qu’on pose la main sur lui. Un souffle<br />

d’air suffit à le cuire, et il fond sur la langue dès qu’on le porte à la bouche. C’est doux, crémeux comme<br />

un fantôme battu en neige. Oui, c’est cela : un sorbet de fantôme, une crème de spectre.

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