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— Tu peux rester ici si tu as peur, proposa le chien bleu, moi j’ai envie de grimper au sommet pour<br />
manger un peu de ces merveilleux sorbets.<br />
— Imbécile ! siffla le garçon, regarde-toi, sale roquet ! Tu as avalé trois flocons et tu es déjà du côté<br />
de Ranuck. Qu’est-ce que ça sera quand tu en auras mangé une pleine coupe !<br />
Pour mettre fin à l’algarade, Peggy poussa la porte de la baraque. Une bouffée de chaleur bienfaisante<br />
salua son entrée. L’intérieur du chalet empestait le suint, la graisse et la fourrure mal tannée. Un gros<br />
poêle ronflait dans un coin, jetant <strong>des</strong> lueurs rouges sur un comptoir encombré de peaux. L’adolescente<br />
s’en approcha, plongea les mains dans l’amoncellement de fourrures. Un petit homme obséquieux sortit<br />
de l’ombre pour vanter sa marchandise. Peggy trouva les peaux assez bon marché, ce qui l’étonna, car<br />
elle avait tout d’abord pensé qu’on chercherait à les escroquer sans vergogne. Mais le marchand avait<br />
peut-être identifié la voiture du vizir ? En agissant ainsi, il espérait sans doute s’attirer les bonnes grâces<br />
du Premier ministre. Sébastian avait choisi une cape d’ours, Peggy Sue l’imita. Le boutiquier affable<br />
procéda à de rapi<strong>des</strong> retouches. Il était d’une extrême habileté et ajusta les vêtements en moins de dix<br />
minutes. Peggy tira trois pièces de la bourse que lui avait remise Massalia avant leur départ en mission.<br />
Elle se sentait mieux. Ils quittèrent la cabane, engoncés dans leurs fourrures mais désormais protégés du<br />
vent.<br />
Ils réintégrèrent le chariot de Ranuck sous les regards narquois <strong>des</strong> soldats qui se moquaient de leur<br />
accoutrement. Sébastian se posta à l’arrière de la voiture, de manière à pouvoir en sauter si besoin était.<br />
Rien ne prouvait que le roi les attendait au bout du voyage. Ranuck avait pu imaginer ce piège à la lecture<br />
du faux sauf-conduit.<br />
« Il a peut-être deviné nos intentions, songea le jeune homme. Il nous a entraînés ici pour nous<br />
éloigner le plus possible de l’arbalète. »<br />
Le convoi s’ébranla, franchissant la palissade. De l’autre côté, le brouillard était encore plus dense et<br />
étouffait les bruits. On avait l’impression de se déplacer dans un paysage tapissé de coton rose. Peggy<br />
Sue éprouva un malaise furtif. Son estomac vide la torturait ; de plus, elle prenait peu à peu conscience<br />
que les flocons de neige avalés par mégarde avaient fortifié son appétit de manière anormale. Jamais elle<br />
n’avait eu aussi faim. Des images insolites défilaient dans son esprit. Elle revoyait Ranuck, attablé<br />
devant son horrible repas, découpant sans hésiter la cuisse de Ranya étendue sur la table. Le plus étrange,<br />
c’était que cette évocation ne la dégoûtait plus autant qu’auparavant.<br />
Elle s’ébroua pour chasser l’hallucination, mais la peur demeura plantée au creux de son sternum, une<br />
peur dont elle cernait encore mal les contours.<br />
<strong>La</strong> voiture cahotait sur les pierres du chemin. Des chariots bâchés de cuir émergèrent enfin de la<br />
brume, rangés en cercle.<br />
À cet endroit la neige était d’un rose foncé, presque rouge pâle. Des serviteurs affublés de muselières<br />
en remplissaient <strong>des</strong> coupes d’or qu’ils portaient ensuite jusqu’aux voitures arrêtées. Des mains chargées<br />
de bagues jaillissaient alors <strong>des</strong> rideaux pour s’en emparer avidement. Les beaux seigneurs de Kromosa<br />
étaient tous là, occupés à déguster la délicieuse gourmandise tombant du ciel.<br />
À ce spectacle, Ranuck s’agita sur son siège. Il transpirait et ses narines frémissaient comme celles<br />
d’un lion qui renifle le gibier.<br />
— <strong>La</strong> meilleure neige, dit-il d’une voix sourde, le festin <strong>des</strong> festins. <strong>La</strong> nourriture <strong>des</strong> dieux. Quand<br />
on y a goûté, les mets les plus rares vous paraissent d’un seul coup aussi nauséabonds qu’un tas de crottes<br />
de chèvre.<br />
Sébastian se glissa hors du chariot. Une jeune femme couverte de fourrure errait comme une