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<strong>La</strong> patrouille traversa le filet en diagonale. Un peu partout, <strong>des</strong> enfants et <strong>des</strong> adolescents jouaient de<br />
la flûte pour dompter les racines.<br />
— Seule la musique peut les contraindre à obéir, expliqua Pipoz. Au naturel, elles se comportent<br />
comme <strong>des</strong> serpents. Si ma mère ne m’avait pas enseigné une douzaine de mélodies magiques, je n’aurais<br />
jamais réussi à les commander. En fait, elles sont assez sauvages. Il leur arrive de se battre entre elles, de<br />
s’étrangler, de se couper en deux.<br />
— Cette agressivité a du bon, observa Anaztaz, les racines sont d’excellentes combattantes. Elles<br />
nous défendent de la Dévoreuse. Elles repoussent les tentacules quand ceux-ci essayent de venir chercher<br />
de quoi manger sur le filet !<br />
— Les racines se battent pour vous ? s’étonna Peggy.<br />
— Oui, se rengorgea Anaztaz. Il faut bien sûr connaître les mélodies d’attaque, de riposte, et savoir<br />
se servir d’une flûte comme d’une arme de guerre, ce n’est pas donné au premier venu.<br />
« Ben voyons ! » se moqua mentalement le chien bleu.<br />
— Sans les racines mutantes… et sans Pipoz, continua Anaztaz, nous serions morts depuis longtemps.<br />
Le filet s’étend sur plus de dix kilomètres aujourd’hui, c’est notre œuvre. Il a permis de sauver bien <strong>des</strong><br />
gosses. Les petits idiots qui sautent dans les crevasses rebondissent ici. Quant à ceux que les tentacules<br />
ont capturés, nous envoyons les racines les intercepter. Ça ne marche pas toujours, mais il est fréquent<br />
que nous parvenions à priver la Dévoreuse de ses proies.<br />
— Beau travail ! dit Peggy Sue.<br />
— Oui, j’en suis fier, martela Anaztaz, mais pour arriver à de tels résultats, il faut de la discipline.<br />
Voilà pourquoi vous allez tout de suite suivre <strong>des</strong> cours de musique et de tricot. Rappelez-vous le<br />
principe fondamental du filet : ici les inutiles n’ont pas leur place, nous sommes tous <strong>des</strong> soldats !<br />
*<br />
Les jours suivants, Peggy Sue et ses amis durent se conformer aux règles de la communauté.<br />
Celles-ci n’avaient rien d’amusant.<br />
D’abord la nourriture se composait de racines et de ronces cuites, ou encore de bouillies d’écorce<br />
moulue. On buvait de la sève, ou de l’eau de pluie qu’on récupérait par les crevasses du sol. On faisait du<br />
feu en entrechoquant <strong>des</strong> silex récupérés sur la voûte.<br />
Pis que tout, il fallait suivre d’interminables leçons à l’école de musique dirigée par Pipoz. On y<br />
apprenait les mélodies magiques permettant de commander aux racines vivantes. Chaque série de notes<br />
provoquait une action définie : Attaque ! Fais un nœud ! Vire à gauche (à droite) ! Passe au-<strong>des</strong>sus (en<br />
<strong>des</strong>sous)… et ainsi de suite. <strong>La</strong> difficulté consistait à jouer ces airs très vite, d’instinct, et au bon rythme.<br />
Le rythme comptait plus que tout, car sans lui la magie n’opérait pas et les racines continuaient à se<br />
prélasser tels <strong>des</strong> boas repus au fond d’un vivarium.<br />
Peggy Sue s’ennuyait ferme car elle avait toujours trouvé la magie casse-pieds. Les formules à<br />
apprendre par cœur, les incantations imprononçables, tout cela l’ennuyait ; voilà pourquoi elle avait<br />
refusé de suivre l’enseignement que lui proposait Granny Katy, sa grand-mère.<br />
« <strong>La</strong> magie c’est tricher ! avait-elle coutume de déclarer, je préfère me débrouiller par mes propres<br />
moyens. »<br />
Comme on s’en doute, dompter les racines mutantes la barbait pr<strong>of</strong>ondément. En plus, elle ne jouait<br />
pas très bien de la flûte et ses fausses notes provoquaient <strong>des</strong> catastrophes (à deux reprises elle faillit