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Nouvelle Biographie Nationale - Académie royale de Belgique

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AMÉRY AMÉRY<br />

En 1966, le nom d'Améry se fait connaître<br />

d'un large public avec Jenseits von Schuld und<br />

Sühne. Bewältigungsversuche eines Überwältigten<br />

(Par-<strong>de</strong>là le crime et le châtiment. Essai<br />

pour surmonter l'insurmontable), où il analyse<br />

la situation <strong>de</strong> l'intellectuel confronté à la<br />

torture et aux travaux forcés dans les camps. Cet<br />

ouvrage eut un très grand retentissement tant en<br />

Allemagne qu'à l'étranger et fut considéré<br />

comme un témoignage essentiel sur une expérience<br />

qui, selon Améry, ébranle définitivement<br />

la confiance élémentaire <strong>de</strong> l'individu dans la<br />

vie et lui enlève sa dignité, celle-ci ne pouvant<br />

être rétablie que par la révolte et la résistance,<br />

malgré la conscience <strong>de</strong> la totale impuissance <strong>de</strong><br />

l'homme face à l'histoire. A partir <strong>de</strong> 1966 se<br />

succè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s essais où Améry se penche sur les<br />

questions existentielles fondamentales qui le<br />

préoccupent <strong>de</strong>puis toujours et que les situations<br />

extrêmes qu'il a dû affronter ont rendu particulièrement<br />

lancinantes. Ce sont le vieillissement<br />

et l'isolement, Über das Altern. Revolte und<br />

Resignation (1968, Du vieillissement : révolte et<br />

résignation), la mort et le suici<strong>de</strong> considéré<br />

comme une affirmation <strong>de</strong> la liberté et <strong>de</strong> la<br />

dignité individuelles, Hand an sich legen.<br />

Diskurs über <strong>de</strong>n Freitod (1976, Porter la main<br />

sur soi. Traité du suici<strong>de</strong>).<br />

Dans ses <strong>de</strong>rnières années, Améry s'est<br />

davantage tourné vers la narration, vers une<br />

fiction autobiographique, revenant ainsi aux<br />

prédilections <strong>de</strong> sa jeunesse. Il publie en 1974<br />

Lefeu o<strong>de</strong>r <strong>de</strong>r Abbruch (Lefeu ou la démolition),<br />

en 1978, Charles Bovary, Landarzt.<br />

Porträt eines einfachen Mannes (Charles<br />

Bovary, mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> campagne. Portrait d'un<br />

homme simple) et le projet <strong>de</strong> nouvelle<br />

Ren<strong>de</strong>zvous in Ou<strong>de</strong>naar<strong>de</strong>, bel exemple <strong>de</strong><br />

réalisme magique. Lefeu, que l'on a pu qualifier<br />

<strong>de</strong> «somme», réunit les thèmes principaux <strong>de</strong><br />

l'auteur dans une texture polyphonique <strong>de</strong> type<br />

associatif, où l'intertextualité joue un rôle<br />

primordial. Le protagoniste est un peintre autrichien<br />

sans succès, juif d'origine, vivant à Paris<br />

après la guerre, à l'écart <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s<br />

compromis. Ce roman, dans lequel l'action<br />

proprement dite est fort réduite, est axé sur<br />

l'évolution intérieure <strong>de</strong> Lefeu, dont le nom est<br />

éloquent. Le motif du feu, assimilé à la <strong>de</strong>struction,<br />

traverse d'ailleurs tout le récit, il est présent<br />

dans le personnage fantastique du «Feuerreiter»<br />

(cavalier du feu) <strong>de</strong> la balla<strong>de</strong> <strong>de</strong> Mörike auquel<br />

12<br />

s'i<strong>de</strong>ntifie le héros, présent aussi dans le<br />

souvenir obsédant <strong>de</strong> ses parents disparus en<br />

fumée dans un camp <strong>de</strong> concentration, présent<br />

enfin comme symbole <strong>de</strong> la révolte et du refus<br />

du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne. Quant au roman-essai<br />

Charles Bovary, il prend en quelque sorte le<br />

contre-pied à la fois du roman <strong>de</strong> Flaubert et <strong>de</strong><br />

l'ouvrage <strong>de</strong> Sartre sur l'écrivain français<br />

L'Idiot <strong>de</strong> la famille. Améry fait du mari trompé<br />

le personnage central <strong>de</strong> son livre et entreprend<br />

<strong>de</strong> restaurer l'honneur et la dignité <strong>de</strong> cet<br />

homme mal compris ; il le réhabilite en tant que<br />

« bourgeois-citoyen » capable <strong>de</strong> dévouement et<br />

d'amour.<br />

Le parcours intellectuel d'Améry est, à bien<br />

<strong>de</strong>s égards, significatif <strong>de</strong> son époque. De l'irrationalisme<br />

romantique <strong>de</strong> sa jeunesse, il est<br />

passé au néo-positivisme du Cercle <strong>de</strong> Vienne,<br />

tout en s'intéressant également à la pensée<br />

d'Ernst Mach et à la philosophie du langage <strong>de</strong><br />

Fritz Mauthner. Les expériences <strong>de</strong> l'exil et <strong>de</strong>s<br />

années <strong>de</strong> guerre entraînent une nette césure<br />

dans sa vision du mon<strong>de</strong>, il se rallie désormais à<br />

l'existentialisme <strong>de</strong> Sartre. Le philosophe<br />

français restera longtemps son principal point <strong>de</strong><br />

référence. C'est surtout l'idée sartrienne <strong>de</strong> la<br />

liberté <strong>de</strong> l'homme qui le séduit, la notion <strong>de</strong><br />

projet. Au début <strong>de</strong>s années septante cependant,<br />

il prendra ses distances vis-à-vis <strong>de</strong> Sartre. Les<br />

développements ultérieurs <strong>de</strong> la philosophie<br />

française, le structuralisme et les théories <strong>de</strong><br />

Michel Foucault ne suscitent en définitive chez<br />

lui, en dépit d'une certaine admiration, que<br />

méfiance et rejet, et ce au nom <strong>de</strong> l'humanisme.<br />

Quoique pleinement conscient <strong>de</strong> la «dialectique<br />

» <strong>de</strong> la pensée éclairée, Améry proclame <strong>de</strong><br />

plus en plus explicitement son attachement aux<br />

idéaux <strong>de</strong>s Lumières ; fils spirituel <strong>de</strong> Lessing, il<br />

se recomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'éthique <strong>de</strong> YAufklärung,<br />

cela se vérifie entre autres dans son discours<br />

Aufklärung als philosophia perennis prononcé à<br />

l'occasion <strong>de</strong> la remise du prix Lessing par la<br />

ville <strong>de</strong> Hambourg, en 1977.<br />

Sur le plan politique, Améry eut à faire face à<br />

<strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s déceptions. Homme <strong>de</strong> gauche, il<br />

fut sérieusement ébranlé par les événements <strong>de</strong><br />

1968 à Prague, par l'extension du terrorisme en<br />

Allemagne et par la guerre du Vietnam. Malgré<br />

l'accueil favorable que lui réservèrent les<br />

médias et le public cultivé, il eut, à plus <strong>de</strong><br />

soixante-cinq ans, le sentiment que ses repères<br />

s'effondraient et que l'Allemagne lui restait

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