Nouvelle Biographie Nationale - Académie royale de Belgique

BRACHET BRACHET
biennes. Ainsi, loin d'être caractéristique, l'un
du règne animal, l'autre du règne végétal
comme on le croyait, les deux types d'acides
nucléiques sont des constituants universels de
toute cellule vivante, l'ADN dans les noyaux
(mais aussi, comme le montreront plus tard
Brächet lui-même et ses collaborateurs en
utilisant des techniques plus sophistiquées, dans
les mitochondries et les chloroplastes), l'ARN
dans le cytoplasme et le nucléole.
Point essentiel, l'observation de nombreux
tissus montrait une remarquable corrélation
entre l'abondance des synthèses protéiques et la
teneur en ARN du cytoplasme. Brächet en a
conclu que l'ARN, dont le rôle était, à l'époque,
totalement inconnu, devait jouer un rôle
essentiel dans la synthèse des protéines. C'est le
moment de mentionner un aspect crucial de la
trajectoire scientifique de Jean Brächet, sa collaboration
avec son collègue Raymond Jeener, et,
peu après, avec ses premiers élèves, Hubert
Chantrenne, Maurice Errera, Francine
Vanderhaeghen et Adrienne Ficq. Raymond
Jeener l'avait accueilli pendant la guerre dans le
laboratoire de fortune qu'il avait installé à ses
frais dans une maison ouvrière du lieu-dit
«Rouge-Cloître». C'est là, dans des conditions
matérielles qui nous paraissent aujourd'hui
ahurissantes, qu'ont été réalisées les expériences
les plus marquantes du groupe.
Paradoxe apparent : alors que le matériel
génétique (l'ADN), dont on commençait à
comprendre qu'il détenait le plan d'assemblage
des acides aminés en protéines, est localisé dans
le noyau, l'expérience montrait à l'évidence que
les protéines étaient synthétisées dans le cytoplasme,
précisément au niveau des granules
basophiles riches en acides nucléiques (on s'est
rendu compte plus tard que ces granules ne sont
autres que les «microsomes» de notre compatriote
Albert Claude, c'est-à-dire, des fragments
de reticulum endoplasmique couverts de particules
plus petites, les ribosomes). D'où la
nécessité d'un «messager» entre l'ADN du
noyau et les sites cytoplasmiques de synthèse des
protéines. Dans la synthèse d'Hubert Chantrenne
(The Biosynthesis of Proteins, 1961), une section
est explicitement intitulée : RNA as the genetic
messenger. C'est au même moment que Jacob et
Monod établissaient l'existence, chez une
bactérie, d'un intermédiaire génétique instable,
un «messager» à vie brève. La démonstration
rigoureuse de ce qu'on appelle maintenant le
«dogme central» de la Biologie Moléculaire
(ADN - ARN - protéines) a nécessité des
moyens - les molécules marquées au 14 C - dont
le groupe de Rouge-Cloître ne disposait pas à
l'époque, et n'a été réalisée, par d'autres équipes
que plus tard. En fait, la situation ne s'est
clarifiée que lorsqu'on a réalisé l'existence de
plusieurs types d'ARN, qui interviennent à des
niveaux bien distincts de la synthèse des
protéines : le gros de l'ARN, clairement identifié
par la méthode cytochimique de Brächet, est bien
un constituant essentiel de Γ «usine» de synthèse
des protéines (le ribosome), mais le véhicule de
l'information contenue dans les gènes est une
fraction d'ARN beaucoup plus discrète (l'ARN
messager) qui est synthétisée dans le noyau et
migre ensuite vers le cytoplasme, où elle se fixe
sur les ribosomes.
Hanté par le problème des interactions entre le
noyau et le cytoplasme, Jean Brächet a
développé, dans les années cinquante, une expérimentation
basée sur le simple fait que chez
deux organismes unicellulaires bien différents,
l'amibe et l'algue Acetabularia, la cellule peut
être commodément sectionnée en deux parties de
taille similaire dont l'une contient le noyau. L'un
des résultats les plus remarquables est la
poursuite d'une synthèse protéique notable et
durable dans les fragments anucléés. Ceci
montre que, contrairement au cas des bactéries,
l'ARN messager peut avoir une longue vie chez
les eucaryotes. Peu après, du reste, l'équipe de
son disciple Chantrenne (avec Marbaix et Burny)
réussissait l'isolement à l'état pur d'ARN
messager stable d'hémoglobine de Lapin. Injecté
dans des oocytes de Crapaud, ce messager induit
la synthèse d'hémoglobine de Lapin par la
cellule de Crapaud. C'était la démonstration sans
équivoque de ce que l'information génétique est
bien présente dans l'ARN messager.
Jean Brächet a été non seulement un grand
biologiste, mais aussi un enseignant de haut vol.
Ses nombreux ouvrages, et, en particulier, sa
monumentale Embryologie chimique traduite
dans plusieurs langues, témoignent d'un réel
talent d'écrivain. En étroite collaboration avec
son collègue Raymond Jeener, il a créé une
grande école, connue initialement sous le nom
de Groupe de Rouge-Cloître, et plus récemment
sous le nom de Groupe de Rhode (citons, parmi
ses élèves directs, Hubert Chantrenne, Maurice
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