Nouvelle Biographie Nationale - Académie royale de Belgique
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DEGRELLE DEGRELLE<br />
frère du Caudillo, le général Munos Gran<strong>de</strong>, etc,<br />
etc.) répugnaient à l'opération d'autant plus que<br />
le traité d'extradition existant <strong>de</strong>puis 1870 entre<br />
l'Espagne et notre pays n'était pas vraiment<br />
applicable : Degrelle n'avait été condamné que<br />
pour <strong>de</strong>s chefs d'accusation d'ordre politique,<br />
non pour <strong>de</strong>s crimes <strong>de</strong> guerre. Les choses<br />
traînèrent tant que le principal concerné eut tout<br />
le loisir <strong>de</strong> se soustraire à l'attention <strong>de</strong>s<br />
autorités. Le 21 août 1946, il quittait sans être<br />
gêné le moins du mon<strong>de</strong> l'hôpital, montait dans<br />
un taxi et se perdait dans la nature. Sa famille<br />
n'avait pas connu cette chance. Des condamnations<br />
à <strong>de</strong>s peines d'emprisonnement s'étaient<br />
abattues sur sa femme, qui avait été refoulée <strong>de</strong><br />
Suisse où elle essayait <strong>de</strong> se réfugier, sur son<br />
père et sur son beau-frère, qui moururent en<br />
prison. Ses sœurs se retrouvèrent internées<br />
d'office sitôt rapatriées d'Allemagne. Et ceux<br />
qui l'avaient suivi dans son combat aux côtés du<br />
national-socialisme avaient dû rendre <strong>de</strong>s<br />
comptes à la justice et subir la sanction morale<br />
<strong>de</strong> leurs concitoyens. Du côté belge, le naufrage<br />
était complet.<br />
Degrelle <strong>de</strong>meura dans une ombre propice<br />
pendant plusieurs années. De loin en loin, il<br />
accordait une interview à un journaliste qu'il<br />
estimait fiable, se remettant d'une grave<br />
opération stomacale, redoutant qu'une indiscrétion<br />
ne dévoile le lieu <strong>de</strong> sa retraite. Le profil bas<br />
était d'autant plus <strong>de</strong> mise que ses contacts<br />
espagnols le trouvaient à ce moment quelque<br />
peu compromettant et il avait eu vent d'une<br />
tentative <strong>de</strong> rapatriement forcée concoctée par<br />
nos services <strong>de</strong> renseignements sous l'impulsion<br />
du colonel George <strong>de</strong> Lovinfosse (janvier 1946).<br />
Ce projet avait tourné court faute <strong>de</strong> recevoir le<br />
feu vert du ministre <strong>de</strong>s Affaires étrangères <strong>de</strong><br />
l'époque, peu désireux d'ajouter aux complications<br />
diplomatiques le rappel <strong>de</strong> certains<br />
comportements gouvernementaux peu héroïques<br />
en l'an quarante. Les tentatives ultérieures<br />
(1958, 1961) ne purent non plus se concrétiser.<br />
L'ex-tribun fut pour la première fois aperçu en<br />
public le 15 décembre 1954. Devenu décidément<br />
pru<strong>de</strong>nt, tablant sur le fait qu'un Etat<br />
répugne à extra<strong>de</strong>r ses nationaux, il s'était fait<br />
adopter quelque mois plus tôt, dans la localité <strong>de</strong><br />
Cazalla <strong>de</strong> la Sierra par une vieille dame, ce qui<br />
lui avait automatiquement conféré la nationalité<br />
espagnole ainsi que le patronyme flamboyant <strong>de</strong><br />
Leon Jose <strong>de</strong> Ramirez Reina. L'émotion fut vive<br />
en <strong>Belgique</strong>. D'aucuns le croyaient à ce moment<br />
en Amérique latine ou à Tanger, ourdissant <strong>de</strong><br />
noirs complots au sein d'une internationale néonazie<br />
protéiforme. C'était lui accor<strong>de</strong>r beaucoup<br />
<strong>de</strong> crédit. Il entretenait certes d'utiles relations<br />
avec quelques proches du régime franquiste<br />
ainsi qu'avec différents rescapés <strong>de</strong> l'Europe<br />
hitlérienne - dont le fameux Otto Skorzeny.<br />
Mais il s'agissait pour l'essentiel d'une solidarité<br />
<strong>de</strong> vaincus, condamnés pour l'essentiel à<br />
nourrir ce type <strong>de</strong> relations que partagent les<br />
anciens combattants <strong>de</strong> toutes les causes et <strong>de</strong><br />
tous les pays.<br />
Le plus clair <strong>de</strong> son activité «politique» fut<br />
absorbée par un incessant travail d'écriture à<br />
caractère apologétique, point toujours inintéressant<br />
mais qui <strong>de</strong>vint, avec l'écoulement du<br />
temps et la nature <strong>de</strong> la cause qu'il défendait,<br />
rabâcheur et dérisoire, quelquefois abject. Le<br />
premier - et le meilleur - <strong>de</strong> ses écrits polémiques,<br />
La cohue <strong>de</strong> 1940, s'inspirait visiblement<br />
<strong>de</strong>s Décombres <strong>de</strong> Lucien Rebatet. Sorti <strong>de</strong><br />
presse en 1949 chez un éditeur <strong>de</strong> Lausanne, il y<br />
faisait alterner <strong>de</strong>mi-vérités et lourds amalgames<br />
afin <strong>de</strong> présenter le collaborationnisme comme<br />
un phénomène quasiment universel. C'était pour<br />
lui une façon <strong>de</strong> se dédouaner : si tout le mon<strong>de</strong><br />
était coupable, tout le mon<strong>de</strong> était innocent.<br />
Quoiqu'interdite <strong>de</strong> vente et <strong>de</strong> diffusion, cette<br />
œuvre connut un beau succès <strong>de</strong> curiosité, <strong>de</strong><br />
même que sa Campagne <strong>de</strong> Russie 1941-1945<br />
(Paris, 1949); toutes <strong>de</strong>ux furent ultérieurement<br />
rééditées. Les ressacs <strong>de</strong> la vie n'avaient tari ni<br />
sa veine poétique - il achevait La Chanson<br />
ar<strong>de</strong>nnaise en 1951 et L'Ombre <strong>de</strong>s Soirs en<br />
1952 - ni son inspiration <strong>de</strong> prosateur puisqu'il<br />
réussissait à faire paraître chez Flammarion,<br />
avec La gran<strong>de</strong> bagarre (1951), un roman<br />
d'assez bonne facture sous le pseudonyme <strong>de</strong><br />
Jean d'Outreligne. Il recourut d'ailleurs<br />
fréquemment à l'usage du nom d'emprunt (on<br />
lui en connaît une quinzaine) pour faire passer<br />
en toute discrétion <strong>de</strong>s articles dans la presse<br />
espagnole ou dans celles <strong>de</strong> pays arabes connus<br />
pour leur hostilité à l'égard d'Israël.<br />
Quelquefois, la nostalgie venait l'effleurer.<br />
Peut-être l'aida-t-elle en 1964 à rédiger un<br />
nouveau livre, Les âmes qui brûlent, où il<br />
alignait pensées douces-amères et soupirs<br />
vaguement philosophiques sur la fuite du temps.<br />
Prisonnier <strong>de</strong> son passé et <strong>de</strong> l'image qu'il<br />
s'était complaisamment donnée <strong>de</strong> «fils-<br />
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