La trilogie des Joya..

— J’ai entendu parler des éshandistes, dit Talen, mais je n’ai jamais pu piger à quoi ils croient.
— Éshand était antihiérarchique.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— La Hiérarchie est composée des plus hauts fonctionnaires de l’Église… primats, patriarches et
l’archiprélat. Éshand croyait que les prêtres devraient décider individuellement des questions
théologiques pour leurs congrégations et que la Hiérocratie de l’Église devrait être dissoute.
— Là, je comprends pourquoi les grands prêtres ne l’aimaient pas.
— Abrech rassembla donc une énorme armée d’Éosie occidentale et centrale pour attaquer le Rendor.
Il avait les yeux fixés sur le ciel et, quand les comtes et les ducs des terres conquises demandèrent des
armes en acier… sous couleur de mieux combattre les hérétiques… il donna son consentement sans
songer à ce que cela impliquait. Il y eut quelques batailles, mais l’empire d’Abrech se désintégra
soudain. Maîtrisant désormais la technologie avancée, les nobles de l’Éosie occidentale et centrale se
sentaient dispensés de rendre hommage à Abrech, l’Élénie et l’Arcie proclamèrent leur indépendance ; la
Cammorie, le Lamorkand et la Pélosie s’unirent en royaumes vigoureux. Abrech fut tué dans une bataille
contre les éshandistes en Cammorie méridionale.
— Quel rapport avec le Zémoch ?
— J’y viendrai en temps voulu.
Talen regarda Kurik.
— Tu sais, dit-il, c’est une chouette histoire. Pourquoi on ne la raconte pas dans l’école où tu m’avais
mis ?
— C’est probablement que tu n’es pas resté assez longtemps pour l’entendre.
— C’est possible, ma foi.
— Nous sommes à quelle distance de Démos ? demanda Kalten en plissant les yeux vers le soleil
vespéral pour estimer l’heure.
— Une douzaine de lieues, répondit Kurik.
— Nous n’y arriverons jamais avant la tombée de la nuit. Y a-t-il une taverne par ici ?
— Il y a un village pas très loin. Avec une auberge.
— Qu’en penses-tu, Émouchet ? demanda Kalten.
— L’idée n’est pas mauvaise. Ça ne ferait aucun bien aux chevaux de voyager toute la nuit dans le
froid.
Le soleil couchant projetait leurs ombres loin devant eux. Le village était minuscule, avec des
maisons en pierre couvertes de chaume groupées de part et d’autre de la route. Au bout se trouvait
l’auberge : une salle commune avec une soupente de couchage à l’étage. Mais le souper qu’on leur servit
était bien meilleur que le piètre menu auquel ils avaient eu droit la veille.
— Irons-nous à la maison mère en arrivant à Démos ? demanda Kalten après leur repas dans la salle
basse éclairée par des torches.
Émouchet réfléchit.
— Elle est probablement surveillée. Nous escortons le patriarche jusqu’à Chyrellos et nous devons
traverser Démos, mais je préférerais que personne ne me voie entrer avec Sa Grâce pour nous entretenir
avec Arissa. Si Annias a des soupçons, il essaiera de nous contrer. Kurik, tu as une chambre en plus, chez
toi ?
— Un grenier… et une grange à foin.
— Parfait. Nous allons te rendre visite.
— Aslade en sera enchantée. (Le regard de Kurik se troubla.) Je peux vous dire quelques mots,
Émouchet ?
Émouchet recula son tabouret et suivit son écuyer jusqu’à l’autre extrémité de la salle.
— Vous n’étiez pas sérieux, en parlant de laisser Talen auprès d’Aslade, n’est-ce pas ? demanda-t-il