La trilogie des Joya..

lui… à condition que tu ne l’aies pas tué, bien entendu.
— Il saignait un peu, la dernière fois que je l’ai vu, mais pas gravement.
— Adus ne fait pas tellement attention au sang… même au sien.
— Aurais-tu la gentillesse de t’écarter, Séphrénia ? dit Émouchet en ouvrant le devant de sa robe et
en faisant légèrement tourner le manche de son épée. Martel et moi aimerions continuer la discussion
interrompue lors de notre dernière rencontre.
Les yeux de Martel se plissèrent et il ouvrit aussi sa robe. Comme Émouchet, il portait une cotte de
mailles et un sabre.
— Excellente idée, Émouchet, dit-il, sa voix grave à peine plus forte qu’un chuchotement.
Séphrénia s’interposa.
— Arrêtez, vous deux, ordonna-t-elle. Ce n’est ni l’heure ni le lieu. Nous sommes au beau milieu
d’une armée. Si vous jouez à ça dans la tente d’Arasham, vous ferez venir la moitié de Rendor avant d’en
avoir fini.
Émouchet ressentit une vague de déception, mais il savait qu’elle avait raison. A contrecœur, il ôta la
main de la poignée de son épée.
— Très bientôt, en tout cas, Martel, annonça-t-il d’une voix terriblement calme.
— Je serai heureux de t’obliger, mon cher frère, répondit Martel avec un salut ironique. (Ses yeux se
plissèrent d’un air interrogateur.) Que faites-vous en Rendor ? Je vous croyais encore en Cammorie.
— Voyage d’affaires.
— Ah, vous êtes au courant, pour la darestime, je vois. Je regrette de devoir vous le dire, mais vous
perdez votre temps. Il n’existe pas d’antidote. Je me suis renseigné soigneusement avant de la
recommander à un certain ami de Cimmura.
— Tu pousses un peu loin le bouchon, dit Émouchet, menaçant.
— Je l’ai toujours fait, mon frère. Comme on dit, pas de profits sans risques. Ehlana va mourir, je le
crains. Lychéas lui succédera et Annias deviendra archiprélat. J’escompte en tirer un joli bénéfice.
— Tu ne penses donc qu’à cela ?
— Qu’existe-t-il en dehors de ça ? demanda Martel en haussant les épaules. Tout le reste n’est
qu’illusion. Comment va Vanion, ces derniers temps ?
— Fort bien, répondit Émouchet. Je lui dirai que tu t’es inquiété de sa santé.
— En supposant que tu vives assez longtemps pour le revoir. Ta situation en ce lieu est des plus
précaires, mon ami.
— Tout comme la tienne, Martel.
— Je le sais. Mais j’y suis accoutumé. Tu es encombré de scrupules. J’ai abandonné tout cela il y a
bien longtemps.
— Où se trouve ton Damork favori, Martel ? demanda soudain Séphrénia.
Il ne parut que légèrement surpris et se reprit immédiatement.
— Je n’en ai vraiment pas la moindre idée, petite mère. Il vient me voir sans que je l’appelle, et
j’ignore toujours quand il va faire son apparition. Peut-être est-il retourné là d’où il vient. Il est obligé de
le faire régulièrement, tu sais.
— Je n’ai jamais été très curieuse des créatures du monde inférieur.
— Ce qui peut s’avérer une grave omission.
— Peut-être.
Arasham s’agita sur ses coussins et rouvrit les yeux.
— Me serais-je assoupi ? demanda-t-il.
— Très brièvement, sanctissime, répondit Martel. Cela nous aura permis de renouer avec notre
amitié. Nous avons eu beaucoup à nous dire.
— Beaucoup, acquiesça Émouchet (Il hésita ; mais Martel était tellement sûr de soi qu’il ne verrait