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Séphrénia s’était déjà avancée droit sur l’arbre.<br />
— Il vaudrait mieux que tu me laisses aller voir d’abord, dit Émouchet en la rattrapant.<br />
— Il n’y a aucun danger, Émouchet.<br />
Quand ils atteignirent l’arbre, Émouchet regarda à travers les branches et aperçut le mystérieux<br />
musicien. C’était une fillette d’environ six ans. Ses cheveux longs étaient noirs et luisants, ses grands<br />
yeux aussi profonds que la nuit. Un bandeau d’herbes tressées lui enserrait le front et rejetait ses cheveux<br />
en arrière. Elle était assise sur une branche et soufflait dans une flûte de berger. Malgré le froid, elle ne<br />
portait qu’une courte robe de lin serrée à la taille qui laissait nus ses bras et ses jambes. Ses pieds nus et<br />
tachés d’herbe étaient croisés et elle était perchée sur la branche avec une assurance posée.<br />
— Qu’est-ce qu’elle fabrique ici ? demanda Émouchet, intrigué. Il n’y a ni habitation ni village<br />
alentour.<br />
— Je crois qu’elle nous attendait.<br />
— C’est absurde. (Il leva les yeux vers l’enfant.) Comment t’appelles-tu, petite ?<br />
— <strong>La</strong>isse-moi l’interroger, Émouchet. Les enfants styriques sont timi<strong>des</strong>.<br />
Elle rejeta sa capuche en arrière et s’adressa à la petite fille dans un dialecte qu’Émouchet ne comprit<br />
pas.<br />
L’enfant abaissa sa flûte grossière et sourit. Ses lèvres formaient un petit arc rose.<br />
Séphrénia lui posa une autre question sur un ton étrange et doux.<br />
<strong>La</strong> petite fille hocha la tête.<br />
— Vit-elle dans une maison au fond de la forêt ? demanda Émouchet.<br />
— Elle n’habite pas à proximité.<br />
— Elle ne sait pas parler ?<br />
— Elle préfère s’abstenir.<br />
Émouchet regarda autour d’eux.<br />
— Enfin, nous ne pouvons la laisser ici. (Il tendit les bras vers l’enfant.) Descends, petite.<br />
Elle lui sourit et se laissa glisser entre ses mains. Elle était très légère et ses cheveux sentaient la<br />
verdure. Elle lui mit les bras autour du cou avec confiance, puis plissa le nez devant l’odeur de son<br />
armure.<br />
Il la posa sur ses pieds ; aussitôt elle s’approcha de Séphrénia, prit ses mains et les embrassa.<br />
Quelque chose de typiquement styrique se produisit entre elles, quelque chose qu’Émouchet ne pouvait<br />
comprendre. Séphrénia souleva la petite fille dans ses bras et la serra contre elle.<br />
— Qu’allons-nous faire d’elle ? demanda-t-elle d’une voix bizarrement déterminée, comme si c’était<br />
très important.<br />
— Nous devons l’emmener, je suppose… au moins jusqu’à ce que nous découvrions <strong>des</strong> gens à qui la<br />
confier. Rentrons au camp et trouvons-lui <strong>des</strong> vêtements.<br />
— Et aussi de la nourriture.<br />
— Tu es d’accord, Flûte ? demanda Émouchet à l’enfant.<br />
<strong>La</strong> petite fille sourit et acquiesça.<br />
— Pourquoi l’as-tu appelée comme ça ? lui demanda Séphrénia.<br />
— Il faut bien lui donner un nom, en attendant de savoir le vrai… si elle en a un. Retournons au chaud<br />
près du feu.<br />
Ils traversèrent la frontière d’Arcie près de la ville de Diéros, évitant tout contact avec les habitants,<br />
et continuèrent leur chevauchée parallèlement à la route vers l’est, qui recevait un trafic important. Le<br />
paysage avait changé d’un coup. A la différence de l’Élénie, l’Arcie ressemblait à un royaume de murets.<br />
Les murets longeaient les routes ou coupaient les pâturages souvent sans raison apparente. Épais et hauts,<br />
ils contraignaient Émouchet à multiplier les détours. Il faisait la grimace en se rappelant ce patriarche de<br />
l’Église du XIV e siècle qui, après avoir voyagé de Chyrellos à <strong>La</strong>rium, avait caractérisé l’Arcie comme