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échange de jurons et d’insultes.<br />
Le quatrième jour, il devait être midi quand Émouchet alla à la poupe s’entretenir avec le capitaine<br />
borgne.<br />
— Nous nous rapprochons, n’est-ce pas ?<br />
— Encore cinq lieues, répondit le capitaine en bougeant la barre pour éviter un bateau qui leur<br />
arrivait <strong>des</strong>sus. Fils dégénéré d’âne à trois pattes ! beugla-t-il à l’adresse du barreur d’en face.<br />
— Que ta mère explose sous les verrues ! répondit aimablement son interlocuteur.<br />
— Je pense que nous allons débarquer avant d’atteindre le centre ville. Nous désirons examiner un<br />
peu l’endroit avant de rencontrer <strong>des</strong> partisans d’Arasham, et les appontements sont sans doute surveillés<br />
d’assez près.<br />
— C’est agir avec sagesse, acquiesça le capitaine. D’ailleurs, j’ai l’impression que vous risquez <strong>des</strong><br />
ennuis et je ne tiens pas à y être mêlé.<br />
— Ce que vous venez de dire vaut aussi pour vous, vous savez ?<br />
Au début de l’après-midi, le capitaine donna un brusque coup de barre et engagea la proue de son<br />
bateau sur une bande étroite de plage sablonneuse.<br />
— C’est le dernier endroit abordable, dit-il à Émouchet. Plus loin, la rive devient trop marécageuse.<br />
— A quelle distance sommes-nous de Dabour ?<br />
— Quatre, peut-être cinq milles.<br />
— Ça ira.<br />
Les matelots <strong>des</strong>cendirent la passerelle de coupée ; Émouchet et ses amis conduisirent leurs chevaux<br />
et leur mule de bât sur la plage. À peine avaient-ils débarqué que les matelots retiraient la passerelle et<br />
repoussaient leur embarcation dans les flots à l’aide de longues perches. Puis le capitaine lança son<br />
bateau dans le courant et repartit en aval. Nul ne salua.<br />
— Tu penses pouvoir tenir le coup ? demanda Émouchet à Séphrénia.<br />
Elle avait les traits tirés, mais les cercles noirs sous ses yeux avaient commencé à s’atténuer.<br />
— Je vais bien, Émouchet.<br />
— Mais si nous perdons encore plusieurs de ces chevaliers, ce ne sera plus le cas, n’est-ce pas ?<br />
— Je ne sais pas vraiment. Je ne me suis jamais trouvée dans une telle situation. Allons à Dabour et<br />
parlons au docteur Tandjin.<br />
Ils remontèrent la plage bordée de buissons rabougris et gagnèrent la route poussiéreuse pleine de<br />
voyageurs aux yeux sombres illuminés par la ferveur religieuse. Un troupeau de moutons les força de se<br />
rabattre sur le côté de la route. Les bergers, juchés sur leurs mules, avançaient avec arrogance et<br />
barraient la route avec leurs animaux. Leur expression mettait clairement les voyageurs au défi de les<br />
interpeller.<br />
— Je n’ai jamais beaucoup aimé les moutons, marmotta Kurik, et j’aime encore moins les bergers.<br />
— Que cela ne se voie pas, lui conseilla Émouchet.<br />
— On mange beaucoup de mouton, par ici, hein ?<br />
Émouchet acquiesça de la tête.<br />
— N’est-ce pas illogique de tuer un animal sacré ?<br />
— <strong>La</strong> logique n’est pas le point fort <strong>des</strong> Rendors.<br />
Flûte leva son instrument et joua une petite mélodie très discordante. Les moutons s’affolèrent<br />
soudain, tournèrent en rond quelques instants, puis s’enfuirent dans le désert, poursuivis par les bergers<br />
pris de panique. Flûte dissimula un gloussement inaudible.<br />
— Arrête ! gronda Séphrénia.<br />
— Ai-je rêvé ? demanda Kurik stupéfait.<br />
— Je n’en serais pas du tout surpris, dit Émouchet.<br />
— Cette fillette me plaît, vous savez ? reprit Kurik.