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en même temps que toi, mais il est revenu à peu près une semaine après. Il était accompagné d’un autre<br />
homme… avec <strong>des</strong> cheveux blancs. Ça m’a marqué, parce qu’il n’était pas tellement vieux. Alors, ils sont<br />
allés chez ce baron qui raffole <strong>des</strong> petits garçons. Ils y sont restés plusieurs heures, et ensuite ils ont<br />
quitté la ville. À la porte Est, je me suis rapproché d’eux et je les ai entendus parler avec les gar<strong>des</strong>.<br />
Quand l’un d’eux leur a demandé leur <strong>des</strong>tination ils ont répondu qu’ils allaient en Cammorie.<br />
— Brave petit, le félicita Émouchet en laissant tomber une couronne d’or dans sa sébile.<br />
— Un jeu d’enfant. (Talen haussa les épaules, mordit la pièce et la fourra à l’intérieur de sa tunique.)<br />
Merci, Émouchet.<br />
— Pourquoi n’as-tu pas parlé au tourier à l’auberge de la rue <strong>des</strong> Roses ?<br />
— L’endroit est surveillé. J’ai décidé de ne pas prendre de risque. (Puis Talen regarda par-<strong>des</strong>sus<br />
l’épaule du chevalier.) Salut, Kurik. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus.<br />
— Vous vous connaissez, tous les deux ? fit Émouchet, un peu surpris.<br />
Kurik s’empourpra, l’air embarrassé.<br />
— Tu n’as aucune idée de l’ancienneté de notre amitié dit Talen en adressant à Kurik un petit sourire<br />
rusé.<br />
— Ça suffit, Talen, proféra Kurik. (Puis son expression s’adoucit.) Comment va ta mère ? demanda-til<br />
avec une étrange tristesse dans la voix.<br />
— Elle se débrouille fort bien, ma foi. En ajoutant ce que je gagne à ce que tu lui donnes de temps en<br />
temps, elle est assez prospère.<br />
— Là, je ne vous suis plus, fit mo<strong>des</strong>tement Émouchet.<br />
— C’est personnel, expliqua Kurik. (Il se retourna vers le gamin.) Qu’est-ce que tu fabriques dans la<br />
rue ?<br />
— Je mendie, Kurik. Tu vois ? (Et il tendit sa sébile.) Ça sert à ça. Tu ne veux pas y mettre quelque<br />
chose, en souvenir du bon vieux temps ?<br />
— Je t’ai mis dans une excellente école, petit.<br />
— Oh, excellente, certes. Le directeur nous le répétait trois fois par jour… aux repas. Les professeurs<br />
et lui mangeaient du rôti de bœuf : les étudiants de la bouillie d’avoine. Je n’aime pas tellement l’avoine,<br />
alors je me suis inscrit dans une école différente. (Il fit un geste grandiloquent pour désigner la rue.) C’est<br />
ma nouvelle salle de classe… Elle te plaît ? Les leçons que j’y apprends sont bien plus utiles que la<br />
rhétorique la philosophie ou toute cette ennuyeuse théologie. Si je m’applique, je peux gagner assez pour<br />
m’acheter du rôti de bœuf… ou tout ce que je veux.<br />
— Je devrais te fouetter, menaça Kurik.<br />
— Voyons, père, répondit le gamin en écarquillant les yeux, que dis-tu là ? (Il éclata de rire.) Il<br />
faudrait d’abord que tu m’attrapes. C’est la première leçon que j’ai apprise dans ma nouvelle école. Tu<br />
veux voir comme je la connais bien ?<br />
Il prit béquille et sébile et s’enfuit à l’autre bout de la rue. Émouchet remarqua qu’il était vraiment<br />
très rapide.<br />
Kurik se mit à jurer.<br />
— Père ? demanda Émouchet.<br />
— Je vous ai dit que ça ne vous regardait pas, Émouchet.<br />
— On n’a pas de secrets l’un pour l’autre, Kurik.<br />
— Vous insistez, hein ?<br />
— Moi ? Je suis curieux, c’est tout. C’est un aspect de ta vie que je ne connaissais pas.<br />
— J’ai été imprudent, il y a quelques années.<br />
— Voilà une façon délicate de présenter la chose.<br />
— Je peux me passer de remarques spirituelles, Émouchet.<br />
— Aslade est au courant ?