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prudence semble de rigueur.<br />
Ils attendirent tandis que la lumière faiblissait.<br />
Puis le volet se rouvrit.<br />
— Sire Émouchet ! gronda une voix plus adaptée au terrain de manœuvres qu’à une communauté<br />
religieuse.<br />
— Seigneur abbé, répondit Émouchet.<br />
— Attendez un instant. Nous ouvrons le portail.<br />
Il y eut un grincement de chaînes et le raclement d’une lourde barre de fer coulissant dans d’épais<br />
anneaux. Puis le portail pivota pesamment et l’abbé sortit les accueillir. C’était un homme tout rond à<br />
l’air jovial, au visage rubicond et à la barbe noire impressionnante. Il était très grand et il avait <strong>des</strong><br />
épaules massives.<br />
— Quel plaisir de vous revoir, mon ami, dit-il en écrasant la main d’Émouchet. Vous paraissiez un<br />
peu pâle et défait, la dernière fois que je vous ai vu.<br />
— Cela fait dix ans, monseigneur, signala Émouchet. Le temps de guérir ou de mourir.<br />
— Oui, sire Émouchet. Exactement. Entrez et présentez-moi vos amis.<br />
Les murs de la cour intérieure étaient aussi sinistres que ceux qui encerclaient le monastère lui-même.<br />
Ils n’étaient pas décorés par le mortier blanc <strong>des</strong> bâtisses rendors et les fenêtres étaient peut-être un peu<br />
plus étroites que ne l’eût exigé l’architecture monastique. En professionnel, Émouchet avait déjà<br />
remarqué qu’elles devaient constituer d’excellentes meurtrières pour <strong>des</strong> archers.<br />
— Comment puis-je vous aider, Émouchet ? demanda l’abbé.<br />
— Je cherche à nouveau refuge, seigneur abbé. Cela devient une sorte d’habitude chez moi, n’est-ce<br />
pas ?<br />
L’abbé sourit largement.<br />
— Qui vous en veut, cette fois-ci ?<br />
— Nul homme que je connaisse, monseigneur, et j’aimerais mieux ne jamais en savoir davantage.<br />
Pourrions-nous nous entretenir en particulier ?<br />
— Bien entendu. (L’abbé se tourna vers le moine barbu.) Occupe-toi <strong>des</strong> chevaux, mon frère.<br />
Ce n’était pas une requête mais un ordre, et tout militaire. Le moine se redressa, mais sans aller<br />
jusqu’à saluer.<br />
— Venez, Émouchet, fit l’abbé de sa voix de basse en tapant de sa main charnue sur l’épaule du grand<br />
chevalier.<br />
Il les conduisit dans un couloir en voûte faiblement éclairé par de petites lampes à huile. Peut-être<br />
était-ce l’huile, mais les lieux avaient une étrange odeur de sainteté… et de sécurité. Ce parfum rappelait<br />
à Émouchet une certaine nuit, dix ans auparavant.<br />
— L’endroit n’a pas beaucoup changé, remarqua-t-il.<br />
— L’Église est intemporelle, sire Émouchet, répondit sentencieusement l’abbé, et ses institutions<br />
essaient d’être intemporelles aussi.<br />
A l’autre bout du couloir, l’abbé ouvrit une porte d’une simplicité sévère et ils le suivirent dans une<br />
salle tapissée de livres, avec un plafond élevé et un brasero éteint dans un coin. <strong>La</strong> pièce paraissait très<br />
confortable… bien plus que les cabinets <strong>des</strong> abbés dans les monastères du nord. Les fenêtres étaient<br />
faites d’épais triangles de verre joints par <strong>des</strong> bouts de plomb et leurs rideaux étaient bleu pâle. Un tapis<br />
en peau de chèvre recouvrait le sol et le lit défait dans l’autre coin était un peu plus large que le bat-flanc<br />
monacal habituel.<br />
— Je vous en prie, asseyez-vous, dit l’abbé en désignant plusieurs chaises devant une table<br />
encombrée de piles de documents.<br />
— Toujours occupé à rattraper le retard, monseigneur ? demanda Émouchet avec un sourire en<br />
indiquant les papiers et en prenant l’une <strong>des</strong> chaises.