La trilogie des Joya..

— Et comment vas-tu procéder, Émouchet ?
— J’envisageais la flatterie.
— N’est-ce pas un peu dangereux… et très transparent ?
— Bien sûr, mais c’est plus efficace avec les cinglés. Ils ne peuvent pas se concentrer assez pour
saisir les nuances.
Arasham se mit à glapir plus haut ; ses fidèles poussaient des acclamations à chaque phrase. Puis il
prononça sa bénédiction et la foule se dispersa. Entouré par un noyau de disciples jaloux, le saint homme
traversa lentement la foule pour rejoindre sa tente. Émouchet et Séphrénia manœuvrèrent pour se planter
sur son chemin.
— Écartez-vous ! ordonna sèchement l’un des disciples.
— Pardonne-moi, disciple vénéré, dit Émouchet assez fort pour que ses paroles fussent entendues par
le vieillard chancelant, mais je suis porteur d’un message du roi de Deira au bienheureux Arasham. Sa
Majesté envoie ses salutations au vrai chef de l’Église élène.
Séphrénia lâcha un petit bruit étranglé.
— Le bienheureux Arasham ne s’intéresse pas aux rois, railla le disciple, arrogant. À présent, écartetoi.
— Un instant, là, Ikkad, marmonna Arasham d’une voix curieusement faible. Nous aimerions entendre
ce message de notre frère de Deira. Il se peut qu’il s’agisse de la communication à laquelle Dieu faisait
allusion la dernière fois qu’il nous a parlé.
— Bienheureux Arasham, dit Émouchet en s’inclinant très bas, Sa Majesté le roi Obler de Deira vous
salue comme son frère. Notre roi est très âgé et l’âge apporte la sagesse.
— C’est vrai, acquiesça Arasham en caressant sa longue barbe grise.
— Sa Majesté a longuement médité sur les enseignements de saint Éshand, continua Émouchet : elle a
attentivement suivi votre carrière en Rendor. Elle a considéré les activités de l’Église avec un dédain
croissant. Elle a jugé que les ecclésiastiques sont hypocrites et égoïstes.
— Ce sont mes propres termes, dit Arasham, en extase. Je l’ai dit personnellement plus d’une
centaine de fois.
— Sa Majesté reconnaît que vous êtes la source bouillonnante et intarissable de sa pensée,
bienheureux Arasham.
— Bien, répondit le prophète en se rengorgeant.
— Sa Majesté croit que le temps est venu de la purification, elle croit que vous êtes celui que Dieu a
choisi pour purger l’Église élène de ses péchés.
— As-tu entendu mon sermon ? demanda avidement le vieillard. J’ai prêché exactement la même
chose.
— Il est vrai, dit Émouchet. Je fus stupéfié par la similitude des termes avec ceux que Sa Majesté m’a
chargé de vous transmettre. Sachez toutefois, bienheureux Arasham, que Sa Majesté a l’intention de vous
procurer une aide dépassant le simple réconfort de ses salutations et de son affection respectueuse. Le
détail de ses autres intentions doit cependant être entendu de vous seul. (Il considéra d’un air
soupçonneux la foule qui se pressait autour d’eux.) Dans une telle assemblée, certains peuvent ne pas être
ce qu’ils paraissent et, si mes propos étaient rapportés à Chyrellos, l’Église rassemblerait tous ses efforts
pour déjouer les desseins de Sa Majesté.
Arasham s’efforça en vain de prendre un air rusé.
— Ta prudence t’honore, jeune homme. Entrons dans mon pavillon pour que tu puisses me révéler
tous les projets de mon cher frère Obler.
Écartant les disciples empressés, Émouchet se fraya un chemin à travers leurs rangs pour offrir le
soutien de son bras et de son épaule au fanatique chenu.
— Sanctissime, dit-il, ne craignez point de vous appuyer sur moi, car, ainsi que l’a ordonné saint