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La trilogie des Joya..

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— Tu vas bien, Kurik ? dit-il simplement à l’homme qu’il n’avait pas vu depuis dix ans.<br />

— Passablement. Quittez cette cape humide.<br />

Émouchet eut un large sourire, laissa tomber ses sacs de selle sur le plancher et défit l’agrafe de son<br />

manteau dégoulinant.<br />

— Comment vont Aslade et les gamins ?<br />

— Ils poussent, grogna Kurik en prenant la cape. Mes fils grandissent et Aslade grossit. <strong>La</strong> vie à la<br />

ferme lui convient.<br />

— Tu aimes les femmes dodues, rappela Émouchet à son écuyer. C’est pour ça que tu l’as épousée.<br />

Kurik émit un nouveau grognement et considéra d’un œil critique la silhouette émaciée de son maître.<br />

— Vous n’avez pas mangé à votre faim, Émouchet, l’accusa-t-il.<br />

— Ne me materne pas, Kurik.<br />

Émouchet s’affala dans un lourd fauteuil en chêne. <strong>La</strong> pièce était dallée, les murs de pierre. Le<br />

plafond était bas, soutenu par de grosses poutres noires. Dans la cheminée à linteau en ogive flambait un<br />

feu qui emplissait la pièce d’ombres dansantes. Deux chandelles brûlaient sur la table, deux lits bas<br />

étaient installés contre deux murs opposés. Mais ce fut un gros chevalet, près de l’unique fenêtre drapée<br />

de bleu, qui attira son regard. Une armure complète émaillée de noir était posée <strong>des</strong>sus. Sur le mur était<br />

appuyé un grand écu noir à l’emblème de sa famille, un épervier argent aux ailes gran<strong>des</strong> ouvertes, une<br />

lance dans les serres. À côté du bouclier se dressait un sabre massif dans sa gaine, la garde doublée<br />

d’argent.<br />

— Vous aviez oublié de le graisser en partant, l’accusa Kurik. Il m’a fallu une semaine pour le<br />

dérouiller. Donnez-moi votre pied. (Il se pencha et lui ôta une botte, puis l’autre.) Pourquoi faut-il<br />

toujours que vous marchiez dans la boue ? grommela-t-il en lançant les bottes à côté de la cheminée. Je<br />

vous ai préparé un bain dans la pièce à côté. Déshabillez-vous. Je veux jeter un coup d’œil à vos<br />

blessures.<br />

Émouchet poussa un soupir et se leva. Il se dévêtit avec l’aide particulièrement délicate de son rude<br />

écuyer.<br />

— Vous êtes mouillé jusqu’aux moelles, remarqua Kurik en touchant d’une main calleuse le dos froid<br />

de son maître.<br />

— <strong>La</strong> pluie a parfois cet effet.<br />

— Vous n’avez jamais vu de chirurgien ? questionna l’écuyer en effleurant les larges cicatrices<br />

violettes sur les épaules et le flanc gauche d’Émouchet.<br />

— Un médecin les a examinées. Il n’y avait pas de chirurgien dans le voisinage et je les ai laissées<br />

guérir toutes seules.<br />

Kurik branla du chef.<br />

— Ça se voit. Rentrez dans le baquet. Je vais vous chercher quelque chose à manger.<br />

— Je n’ai pas faim.<br />

— C’est bien dommage. Vous ressemblez à un squelette. Maintenant que vous êtes revenu, je ne vais<br />

pas vous laisser vous promener dans cet état.<br />

— Pourquoi me houspilles-tu, Kurik ?<br />

— Parce que je suis en colère. Vous avez failli me faire mourir de peur. Il y a dix ans que vous êtes<br />

parti et les nouvelles ont été rares… mais souvent mauvaises.<br />

Les yeux du rude compagnon se radoucirent un instant et il étreignit les épaules d’Émouchet d’une<br />

poigne qui eût mis à genoux un homme moins robuste.<br />

— Bienvenue à la maison, monseigneur, dit-il d’une voix étouffée.<br />

Émouchet enlaça brusquement son ami.<br />

— Merci, Kurik, dit-il d’une voix non moins étouffée. C’est bon d’être de retour.<br />

— Très bien, fit Kurik, qui avait repris son air renfrogné. Et maintenant, au bain. Vous puez.

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