La trilogie des Joya..

18
Le capitaine Sorgi inspecta les eaux jusqu’à la nuit, mais ne découvrit aucun survivant. Alors, il refit
virer tristement son vaisseau vers le sud-est, en direction de Cippria.
Séphrénia poussa un soupir et se détourna de la lisse.
— Descendons, Émouchet.
Il hocha la tête et la suivit jusqu’à leur cabine.
Kurik avait allumé une seule lampe à huile qui oscillait sous une poutre, emplissant d’ombres
vacillantes le petit compartiment sombrement lambrissé. Flûte, qui s’était réveillée, était assise à la table
boulonnée au centre de la cabine et considérait d’un air soupçonneux le bol posé devant elle.
— Ce n’est que du ragoût, lui disait Kurik. Ça ne te fera aucun mal.
Elle plongea délicatement les doigts dans la sauce épaisse pour en extraire un bout de viande juteux.
Elle le renifla, puis considéra l’écuyer d’un air interrogateur.
— Du porc salé, dit-il.
Elle frémit et laissa retomber le morceau dans la sauce. Puis elle repoussa fermement le bol.
— Les Styriques ne mangent pas de porc, expliqua Séphrénia.
— D’après le cuistot, c’est ce que mangent les matelots, protesta-t-il. (Il regarda Émouchet.) Le
capitaine a-t-il pu trouver des survivants ?
— Cette trombe a tout réduit en pièces.
— Une chance que nous n’ayons pas été à bord.
— Une grande chance, acquiesça Séphrénia. Les trombes n’apparaissent pas dans un ciel clair, ne se
déplacent pas contre le vent et ne changent pas de direction comme celle-ci.
— De la magie ? fit Kurik. Est-ce possible ?
— Je n’en serais pas capable.
— Qui, alors ? dit Émouchet. Tu as deviné quelque chose, n’est-ce pas ?
— Durant ces derniers mois, nous avons rencontré plusieurs fois un personnage en cagoule et robe
styrique. Tu l’as vu à plusieurs reprises à Cimmura et il nous a tendu une embuscade sur la route de
Borrata. Les Styriques se cachent rarement le visage. L’avais-tu remarqué ?
— Oui, mais je n’arrive pas à faire la liaison.
— Cette créature doit se couvrir la figure, Émouchet. Elle n’est pas humaine.
Il la fixa avec étonnement.
— En es-tu certaine ?
— Je ne peux pas être catégorique, mais les preuves commencent à s’accumuler, tu ne crois pas ?
— Annias pourrait faire ça ?
— Ce n’est pas Annias. Azash est le seul à oser invoquer de telles créatures. Les Dieux Cadets s’y
refusent et même les Dieux Aînés ont abandonné cette pratique.
— Pourquoi Azash voudrait-il tuer le capitaine Mabin ?
— Parce que la créature s’imaginait que nous étions à bord.
— C’est aller un peu loin, Séphrénia, protesta Kurik. S’il est si puissant, pourquoi a-t-il coulé le
mauvais bateau ?
— Les créatures du monde inférieur ne sont pas très raffinées, Kurik. Notre ruse a suffi à le tromper.
Pouvoir et sagesse ne vont pas toujours de pair. Bon nombre des plus grands magiciens de Styricum sont
bêtes comme leurs pieds.
— Je ne te suis pas tout à fait, intervint Émouchet avec un froncement de sourcil. Ce que nous faisons
n’a rien à voir avec Zémoch. Pourquoi Azash se disperserait-il en aidant Annias ?
— Il se peut qu’il n’existe aucune relation. Azash a des mobiles personnels.