La trilogie des Joya..

fixa sa monture : un squelette aux yeux vides. Il ne tenta point de prendre une arme et resta à frissonner
malgré la fournaise tandis que le spectre à cheval fondait sur eux. Arrivé à quelques mètres, il tira sur les
rênes de son animal et, en un inquiétant mouvement lent, dégaina son épée.
— Petite mère, entonna-t-il, d’une voix caverneuse, j’ai fait tout ce que je pouvais.
Il leva la garde de son arme devant sa visière pour saluer Séphrénia, puis tourna la lame et présenta
la poignée sur son avant-bras dépourvu de substance.
Séphrénia, pâle et affaiblie, foula le gravier pour rejoindre le spectre et prit la garde de l’épée dans
ses mains…
— Ton sacrifice ne sera pas oublié, sire chevalier, annonça-t-elle d’une voix tremblante.
— Qu’est-ce que le souvenir dans la Maison des Morts ? J’ai fait ce que m’ordonnait le sens du
devoir. C’est ma seule consolation dans le silence éternel. (Puis il tourna sa visière vers Émouchet)
Salut, mon frère. Sache que ta voie est juste. À Dabour tu trouveras ta réponse. Viendrais-tu à réussir
dans ta quête que nous t’acclamerions sombrement dans la Maison des Morts.
— Salut, mon frère, répondit Émouchet d’une voix étouffée, et adieu.
Le spectre s’évanouit.
Avec un gémissement frémissant et prolongé, Séphrénia s’écroula. C’était comme si le poids de
l’épée soudain matérialisée l’écrasait contre terre.
Kurik se précipita pour prendre sa forme légère entre les bras et l’emporter à l’ombre près de l’étang.
Sans tenir compte du gravier brûlant qui attaquait ses pieds nus, Émouchet rejoignit d’un pas résolu
l’endroit où elle était tombée et ramassa l’épée de son frère abattu.
Derrière lui, il entendit le son de l’instrument de Flûte. Cette mélodie, il ne l’avait jamais entendue.
Elle était pleine de questions, de douleur, de nostalgie. Il se tourna, l’épée à la main. Séphrénia reposait
sur une couverture à l’ombre des palmiers. Ses traits semblaient tirés ; des cercles sombres étaient
apparus sous ses yeux clos. Très inquiet, Kurik était agenouillé auprès d’elle, et Flûte était assise non
loin de là, son instrument aux lèvres, lançant son hymne étrange au ciel.
Émouchet alla s’arrêter à l’ombre. Kurik se leva.
— Elle ne pourra repartir aujourd’hui, annonça calmement l’écuyer. Quant à demain ?
Émouchet acquiesça de la tête.
— Elle s’affaiblit terriblement, Émouchet. Chaque fois que meurt un des chevaliers, elle semble se
faner davantage. Ne serait-il pas préférable de la renvoyer à Cimmura, une fois que nous serons arrivés à
Djiroch ?
— Elle refuserait.
— Vous avez probablement raison, admit Kurik. Par contre, vous, vous savez que nous irions
beaucoup plus vite sans elle et la petite fille, n’est-ce pas ?
— Oui, mais que ferions-nous sans elle, une fois arrivés à destination ?
— Là, vous n’avez pas tort. Est-ce que vous auriez reconnu ce fantôme ?
Émouchet branla du chef.
— Sire Kerris, dit-il brièvement.
— Je ne l’ai jamais bien connu. Il me semblait toujours un peu raide et cérémonieux.
— C’était un brave homme.
— Que vous a-t-il dit ? J’étais trop loin pour l’entendre.
— Il a dit que nous sommes sur la bonne voie et que nous trouverons notre réponse à Dabour.
— Fort bien. C’est toujours ça, non ? Je craignais plus ou moins que nous ne chassions des ombres.
— Moi aussi, admit Émouchet.
Flûte avait posé son instrument et était assise à côté de Séphrénia. Elle tendit le bras et prit la main de
la dame prostrée. Son petit visage était grave mais ne trahissait aucune autre émotion.
Une idée traversa l’esprit d’Émouchet.