La trilogie des Joya..

Près du centre ville, ils passèrent devant une ruelle étroite. Un frisson effleura Émouchet et, aussi
claires que si elles sonnaient réellement, il lui sembla entendre à nouveau les cloches.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Kurik en voyant frémir son maître.
— C’est la ruelle où j’ai vu Martel pour la dernière fois.
Kurik jeta un coup d’œil dans la ruelle.
— Il n’y a pas beaucoup de place.
— C’est ce qui m’a sauvé la vie. Ils ne pouvaient pas me tomber dessus tous en même temps.
— Où allons-nous, Émouchet ? demanda Séphrénia derrière eux.
— Au monastère où je suis resté après ma blessure. Je ne pense pas qu’il soit bon qu’on nous voie
dans les rues. L’abbé et la plupart des moines sont des Arciens et savent garder un secret.
— Y serai-je la bienvenue ? demanda-t-elle, hésitante. Les moines arciens sont très conservateurs et
ils ont certains préjugés vis-à-vis des Styriques.
— Cet abbé-ci est plus ouvert et j’ai quelques soupçons concernant son monastère.
— Oh ?
— Je ne crois pas que ces moines soient totalement ce qu’ils paraissent et je ne serais pas surpris de
découvrir chez eux un arsenal secret comprenant des panoplies complètes.
— Des cyriniques ? demanda-t-elle, surprise.
— Les pandions ne sont pas les seuls à vouloir tenir Rendor à l’œil.
— Quelle est cette odeur ? demanda Kurik comme ils approchaient de la périphérie Ouest de la ville.
— Les parcs à bestiaux. Beaucoup de bovins sont expédiés de Cippria.
— Devons-nous franchir une porte pour sortir ?
Émouchet secoua la tête.
— Les murs de la ville ont été abattus au temps où l’hérésie éshandiste a été écrasée. Les habitants ne
se sont pas donné la peine de les reconstruire.
Ils sortirent de la rue étroite où ils s’étaient engagés pour pénétrer sur un arpent de parcs à bestiaux
remplis de bovins crasseux qui meuglaient. C’était la fin de l’après-midi et la couverture nuageuse avait
commencé à prendre un lustre argenté.
— À quelle distance est maintenant le monastère ? demanda Kurik.
— Un peu plus d’un mille.
— Une sacrée distance, à partir de la fameuse ruelle, n’est-ce pas ?
— Je l’ai remarqué aussi, il y a une dizaine d’années.
— Pourquoi ne vous étiez-vous pas mis à l’abri plus près ?
— Il n’y avait aucun endroit sûr. J’entendais les cloches du monastère et je me suis orienté au son. Ça
m’occupait.
— Vous auriez pu perdre tout votre sang.
— La même idée m’a traversé l’esprit cette nuit-là.
Le monastère était situé au-delà des parcs à bestiaux, sur une haute colline rocheuse. Il était entouré
d’un mur épais et le portail en était fermé. Émouchet mit pied à terre et tira sur une corde qui pendait sur
le côté. Une clochette tinta. Au bout d’un moment s’ouvrit le volet d’une fenêtre étroite à barreaux
découpée dans la pierre à côté du portail. Un moine méfiant laissa paraître un visage à barbe brune.
— Bonsoir, mon frère, dit Émouchet. Pensez-vous que je pourrais m’entretenir brièvement avec
l’abbé ?
— Puis-je lui donner votre nom ?
— Émouchet. Il se peut qu’il s’en souvienne. Je suis resté ici un certain temps, il y a quelques années.
— Attendez, fit brusquement le moine en refermant le volet.
— Pas très aimable, hein ? commenta Kurik.
— Les ecclésiastiques ne sont pas exactement appréciés en Rendor, expliqua Émouchet. Un peu de