La trilogie des Joya..

— Vous avez probablement raison. (Kurik fit une moue.) En y réfléchissant bien, elle fait un meilleur
fermier que moi.
— Comme toutes les femmes, lui dit Séphrénia. Elles sont en harmonie avec la lune et les saisons. En
Styricum les femmes s’occupent toujours des champs.
— Et que font les hommes ?
— Aussi peu de travaux que possible.
Il leur fallut près de cinq jours pour gagner Cimmura où ils arrivèrent en début d’après-midi.
Émouchet tira sur ses rênes au sommet d’une colline à l’ouest de la ville.
— Est-ce qu’elle peut recommencer ? demanda-t-il à Séphrénia.
— Qui ?
— Flûte. Peut-elle faire en sorte qu’on ne s’intéresse pas à nous ?
— Je l’ignore. Pourquoi ne le lui demandes-tu pas ?
— Pourquoi pas toi ? J’ai l’impression que je ne lui plais pas.
— Qu’est-ce qui t’a donné cette idée ? Elle t’adore.
Séphrénia se pencha légèrement en avant et s’adressa en styrique à la petite fille appuyée contre elle.
Flûte hocha la tête et exécuta de la main une sorte de geste circulaire mystérieux.
— Qu’a-t-elle dit ? demanda Émouchet.
— Approximativement : que le chapitre est de l’autre côté de Cimmura. Elle suggère que nous
fassions le tour de la ville plutôt que de la traverser à cheval.
— Approximativement ?
— La traduction trahit le sens réel des mots.
— Parfait. Nous allons donc agir comme elle l’a proposé. Je ne tiens pas du tout à ce qu’Annias
découvre que nous sommes de retour.
Ils traversèrent les champs déserts et les bois épars en se tenant à un mille environ du mur de la ville.
Cimmura n’était pas une cité séduisante. La combinaison particulière du site et du climat semblait
capturer la fumée de ses cheminées pour la retenir en un linceul perpétuel juste au-dessus des toits. Ce
nuage menaçant donnait l’impression d’une ville crasseuse.
Ils finirent par atteindre un bosquet à un demi-mille des murs du chapitre. Les terres étaient de
nouveau parsemées de paysans à l’ouvrage et la route qui sortait de la porte était parcourue de voyageurs
pressés aux habits colorés.
— Dis-lui que c’est le moment, demanda Émouchet à Séphrénia. Je suis sûr qu’un bon nombre de ces
gens travaillent pour Annias.
— Elle le sait, Émouchet. Elle n’est pas bête.
— Non. Seulement un peu étourdie.
Flûte lui adressa une grimace et se mit à jouer de son instrument. C’était la même mélodie léthargique
et presque endormie qu’à Vardenais.
Ils traversèrent le champ en direction des quelques maisons groupées à l’extérieur du chapitre.
Malgré la certitude que nul ne leur prêterait attention, Émouchet était très tendu chaque fois qu’ils
croisaient quelqu’un.
— Détends-toi, ordonna froidement Séphrénia. Tu lui compliques la tâche.
— Pardon, marmonna-t-il. C’est l’habitude, sans doute.
Il s’enveloppa péniblement dans une sorte de calme. Un certain nombre d’ouvriers réparaient la route
conduisant au portail de la forteresse.
— Des espions, grogna Kurik.
— Comment le sais-tu ?
— Regarde la façon dont ils posent les pavés. Ils n’ont pas la moindre idée de ce qu’ils font.