La trilogie des Joya..

— Flûte, dit-il tout doucement.
La petite fille leva les yeux.
— Peux-tu faire quelque chose pour Séphrénia ?
L’enfant secoua la tête tristement.
— C’est interdit. (La voix de Séphrénia n’était guère plus qu’un chuchotement.) Seuls ceux d’entre
nous qui étaient dans la salle peuvent porter ce fardeau. (Elle prit longuement son souffle.) Va t’habiller,
dit-elle alors. Ne te promène pas comme ça devant l’enfant.
Ils demeurèrent dans l’ombre à côté de l’étang le jour suivant. Le surlendemain matin, Séphrénia se
leva et rassembla résolument ses affaires.
— Le temps passe, messieurs, dit-elle simplement, et la route est encore longue.
Émouchet l’examina. Son visage était hagard et les cercles sombres sous les yeux n’avaient pas
diminué. Quand elle se pencha pour ramasser son voile, il aperçut plusieurs fils argentés dans sa
chevelure noire.
— Tu ne reprendrais pas des forces si nous restions un jour de plus ? lui demanda-t-il.
— Pas de façon notable, Émouchet, répondit-elle d’une voix lasse. Le repos ne peut améliorer mon
état. En route.
Ils avancèrent au début d’un pas tranquille, mais, au bout de quelques milles, Séphrénia s’adressa
assez sèchement à Émouchet.
— Tu sais, il nous faudra tout l’hiver, si nous continuons à flâner de la sorte.
— Très bien, comme tu voudras.
Ils arrivèrent à Djiroch une dizaine de jours plus tard. Comme Cippria, la ville portuaire de l’ouest
de Rendor était une agglomération aux bâtiments bas, aux toits plats et aux murs épais et blanchis.
Émouchet les conduisit jusqu’à un quartier non loin du fleuve, où la présence des étrangers était tolérée.
La plupart des passants étaient toujours des Rendors, mais on apercevait des Cammoriens en robes
colorées, des Lamorks et même quelques Élènes. Émouchet et ses compagnons gardaient leur cagoule
relevée et chevauchaient lentement sans attirer l’attention.
En fin de matinée, ils parvinrent à une maison modeste construite un peu en retrait de la rue. Le
propriétaire était sire Voren, un chevalier pandion, mais rares étaient les citadins à le savoir. La plupart
des gens de la ville le prenaient pour un marchand élène prospère. Il faisait en effet un peu de commerce.
Parfois il lui arrivait d’en tirer des bénéfices. Mais sa présence à Djiroch n’était pas liée à des motifs
d’ordre commercial. Un certain nombre de pandions étaient mêlés à la population et Voren était leur seul
moyen de communication avec la maison mère de Démos. Tous leurs messages passaient entre ses mains
avant d’être dissimulés dans des caisses et des balles de marchandises qui partaient du port.
Un serviteur à la bouche molle et aux yeux sans expression conduisit Émouchet et les autres dans la
maison jusqu’à un jardin à l’ombre des figuiers où bruissait une fontaine de marbre. Des parterres
soigneusement entretenus longeaient les murs et les fleurs se balançaient en un feu d’artifice de couleurs.
Voren était assis sur un banc à côté de la fontaine. C’était un homme de grande taille mince et doté d’un
sens de l’humour sardonique. Les années passées dans le royaume méridional lui avaient bruni la peau,
qui avait pris la couleur d’une vieille selle. Ses cheveux n’étaient pas encore grisonnants, mais son
visage bronzé formait un réseau de rides. Il ne portait pas de pourpoint, mais une simple chemise en toile
à col ouvert. Il se leva à leur entrée.
— Ah, Mahkra, quel plaisir de te revoir, mon vieux.
— Voren, répondit simplement Émouchet avec un salut rendor, mouvement sinueux qui était presque
une génuflexion.
— Djintal, dit alors Voren au domestique, sois un bon garçon et apporte ceci à mon commissionnaire
sur l’appontement.