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monde ; c’était le moment pour Tim de lutter pour sa vie. C’est<br />
ce qu’il fit, et il s’y prit du mieux qu’il le put. J’assistai à sa<br />
tentative, et quand ce fut possible je lui apportai mon aide. Elle<br />
échoua en fin de compte, mais non faute d’efforts.<br />
Ce n’est pas de l’opportunisme. C’est un sursaut de l’être<br />
pour assurer son ultime défense. Considérer Tim dans ses<br />
derniers jours comme un homme médiocre s’adonnant à un<br />
besoin de survie animale à tout prix, en abandonnant toute<br />
conviction morale, ce serait méconnaître complètement la<br />
situation ; quand votre vie est en jeu, vous agissez de certaines<br />
façons si vous êtes intelligent, et c’est ce que fit Tim : il rejeta<br />
tout ce qui pouvait l’être, qui aurait déjà dû l’être – il montra les<br />
crocs et se proposa de mordre, et c’est ce que fait un homme<br />
dans le sens où un homme est une créature décidée à survivre,<br />
et tant pis pour la cargaison. Après la mort de Kirsten, Tim se<br />
trouvait lui-même en danger de mort imminente, et pour le<br />
comprendre dans cette période finale il faut se rendre compte<br />
que sa perception des choses était exacte. Il était, comme on dit<br />
en psychanalyse, en contact avec la réalité de la situation<br />
(comme s’il y avait une distinction entre « situation » et<br />
« réalité de la situation »). Il avait envie de vivre. Moi aussi. Et<br />
vous aussi, vraisemblablement. Alors, vous devriez pouvoir<br />
comprendre quel était l’état d’esprit de l’évêque Archer dans<br />
cette période située entre la mort de Kirsten et sa mort à lui, la<br />
première qui était un fait accompli, la seconde une éventualité<br />
menaçante mais non une réalité, pas encore du moins, même si<br />
aujourd’hui, rétrospectivement, nous pouvons la juger<br />
inévitable. Mais c’est ce qui se passe toujours quand on se place<br />
d’un point de vue rétrospectif : tout paraît inévitable, puisque<br />
tout est déjà arrivé.<br />
Et à supposer que Tim ait considéré sa mort comme<br />
inévitable, voulue par la prophétie, voulue par la sibylle – ou par<br />
Apollon parlant par la bouche de la sibylle –, il n’en était pas<br />
moins résolu à affronter ce destin et à se battre de toutes ses<br />
forces. C’est là une attitude fort remarquable et digne d’éloge, à<br />
mon avis. Il importe peu qu’il se soit délesté des sottises<br />
auxquelles il avait cru ; fallait-il qu’il meure pelotonné en les<br />
serrant dans ses bras, les yeux fermés, sans montrer les dents ?<br />
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