L'autonomisation des ruraux pauvres et la volatilité des politiques en ...

Autonomisation des Ruraux Pauvres et Volatilité des Politiques de Développement en Tunisie
Rapport de Synthèse, Mai 2006
CHAPITRE III
ANALYSE ET MESURE DES ÉTATS DES AGENTS
INDIVIDUELS ET LEURS RAPPORTS AVEC
L’AUTONOMISATION
1. INTRODUCTION ET CONCEPTS
Le concept d’autonomie est né en Grèce et en matière de concepts on ne prête qu’aux
philosophes.
Lorsque paraît le concept d’autonomie, il implique l’aptitude à émerger de situations conflictuelles en
se constituant des alliés en nombre suffisant. Penser l’autonomie est penser ses rapports aux autres,
dans le double but de ne pas leur être assujetti et de leur montrer les bénéfices qu’ils peuvent tirer de
l’autonomie. Plus que l’indépendance, elle comporte une modalité relationnelle. Celle-là implique
d’une part d’identifier les dangers dont certains menacent l’exercice de l’autonomie et, d’autre part, de
reconnaître la nécessité de s’accorder avec d’autres, dont les ressources sont indispensables à la mise
en oeuvre et au respect des lois propres par lesquelles la cité se constitue autonome.
Il est remarquable que les athéniens, qui ont été capables de concevoir leur autonomie politique,
n’aient pas développé une pensée de l’autonomie personnelle. Jean-Pierre Vernant (1996) ∗ montre
comment « leur représentation de l’individu ne traduit pas la singularité de notre être, son originalité
foncière… L’âme est impersonnelle ou suprapersonnelle. En nous, elle est au-delà de nous, sa fonction
n’étant pas d’assurer notre particularité d’être humain, mais de nous en libérer en nous intégrant à
l’ordre cosmique ou divin ». Pour les Grecs anciens, « la connaissance de soi et le rapport à soi-même
ne peuvent s’établir directement » car l’identité d’un individu ne se définit que par ce que les
autres voient et disent de lui « pour se faire reconnaître, il faut l’emporter sur ses rivaux dans une
incessante compétition pour la gloire. »
Il faudra près de vingt siècles pour acquérir l’idée qu’une intériorité subjective consistante appartient,
avec ses lois propres, à l’individu humain, lui conférant la possibilité de vivre sa vie d’une manière
autonome, à son propre compte.
Concernant la langue française, le dictionnaire étymologique Robert indique que les premières
apparitions de l’autonomie avec sa signification individuelle datent du XIX e siècle. Même après, le
concept est plus fréquemment utilisé en ses dimensions sociales et politiques.
Ce décalage dans le temps donne à réfléchir sur la difficulté de constituer l’individu comme
autonome. Parmi les auteurs qui ont entrepris de donner un aperçu de l’histoire de l’individuation
humaine, nous nous référons ici à la thèse d’Ignace Meyerson (1948) ∗∗ . Il y présente une histoire de la
notion de personne, dont il souligne la complexité, la non-linéarité, l’inachèvement. Il montre
différents aspects dont la convergence aide à élaborer le concept d’autonomie personnelle tandis que
leurs moments d’apparition, dans les langues et les œuvres, ont été très éloignés les uns des autres.
∗ Vernant, J.-P.1996. Entre mythe et politique, Paris, Le Seuil.
∗∗ Meyerson, I. 1948. Les fonctions psychologiques et les œuvres, Paris, Vrin ; Paris, Albin Michel, 1995.
Chapitre III. Analyse et mesure des états des agents individuels et leurs rapports avec l’autonomisation 36