01.04.2022 Views

Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française

  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

© GUIDO BAVIERA/SIME/PHOTONONSTOP. © PHOTO BY DAVID LEES/GETTY IMAGES. © ARALDO DE LUCA .

dans ces années la dolce vita

C’étaitunjourdeseptembre1957,

où tout semblait possible en Italie,

y compris découvrir des trésors comparables

à ceux que rendait jadis le sol de

Rome sous les yeux éblouis de Michel-

Ange. Cet été-là, la construction de la

route littorale entre Terracina et Gaète, à

mi-chemin entre Rome et Naples, battait

son plein. Quand elle parvint à la hauteur

de Sperlonga, petit village perché sur

un éperon face à la mer Tyrrhénienne,

l’ingénieur Erno Bellante, directeur des

travaux et passionné d’archéologie, offrit

son aide au surintendant aux antiquités

Giulio Iacopi pour explorer la zone et

particulièrement l’antre naturel (spelunca,en

latin) qui s’ouvre sur la plage et

donne son nom à la petite ville. Depuis

des décennies, habitants et voyageurs

retrouvaient en effet des fragments

archéologiques dans cette grotte,

connuecommecelledeTibèreetutilisée

de temps immémorial par les pêcheurs

comme abri pour leurs barques.

Le 9 septembre, contrairement aux

accordsprisavecIacopi,quiprévoyaient

de commencer les fouilles le long de

la route, dont le tracé suivait en partie

celui de l’antique via Flacca, Erno Bellante

entama à son insu l’exploration

de la grotte. En l’espace de cinq jours,

ce fut une nouvelle pêche miraculeuse :

dans le sol apparut un bassin circulaire

en maçonnerie de 12 m de diamètre,

empli, tel une corne d’abondance, de

milliersdefragmentsdemarbresculpté!

De ce trésor de pierre émergeaient des

torses musculeux, des jambes colossales

et des nœuds serpentins, mais aussi

une inscription portant les noms d’Agésandros,

Polydoros et Athénodoros, les

trois sculpteurs auxquels Pline l’Ancien

attribue le groupe du Laocoon, retrouvé

à Rome en 1506 et aussitôt acheté par

Jules II. Pour le surintendant Iacopi,

aussitôt accouru sur place, il ne pouvait

s’agir que de l’original de ce phare

de la sculpture antique représentant

le prêtre troyen d’Apollon étouffé par

des serpents avec ses fils. Il décida

d’envoyer les fragments à Rome pour

les faire nettoyer et restaurer.

C’était sans compter la population de

Sperlonga. Avertie par Bellante, elle se

rassembla le 28 septembre sous la houlette

du maire Antonio La Rocca et, en

creusant des fossés autour de la grotte,

bloqua le camion chargé des précieux

vestiges aux cris de : « Tibère nous l’a

donné, malheur à qui y touchera ! » A la

fierté de se savoir la patrie du fameux

Laocoon se mêlaient des rêves non dissimulés

de manne touristique, garantie

par la conjonction de cette découverte

et de la construction de la route littorale.

La presse donna une telle audience à la

révolteque,dèsle20octobre,leroiGustave

VI Adolphe de Suède, lui aussi passionné

d’archéologie, venait visiter le

site. Quant aux habitants de Sperlonga,

ils obtinrent de conserver leur trésor in

situ, dans un musée aussitôt mis en

chantier à 200 m de la grotte.

Dans l’immédiat, les archéologues

poursuivirent leur moisson de vestiges.

Elle aboutit à un gigantesque puzzle

de 30 000 fragments, qu’il s’agissait

désormais de faire parler. Or, dès la fin

d’octobre 1957, plusieurs archéologues

émirent des doutes sur leur identification

au Laocoon. Parmi les débris,

une inscription en vers, signée d’un certain

Faustinus, louait en effet l’habileté

de l’artiste qui avait représenté dans la

grotte, à travers des œuvres surpassant

la poésie de Virgile, « les ruses de

l’homme d’Ithaque », « l’œil arraché à

l’être mi-homme mi-bête alourdi par le

vin et le sommeil », « la cruauté de Scylla

et la poupe du navire brisée par le tourbillon

». Adieu Laocoon ! Le programme

décoratif de la grotte était en réalité

consacréauxaventuresd’Ulysse,chantées

par les poètes du cycle troyen et par

Homère dans l’Odyssée.

C’est au Musée archéologique national

de Sperlonga, ouvert dès 1963 le

long de la route littorale à peine achevée,

que la directrice, Cristiana Ruggini,

nous fait les honneurs de ce prodigieux

décor, reconstitué par l’archéologue

Baldassare Conticello et le sculpteur

Vittorio Moriello. Leur travail passionné

et minutieux a rendu la vie à cinq groupes

sculptés spectaculaires. Tiré d’un

seul bloc de marbre, celui de Scylla se

dresse au centre du musée. Quoique

lacunaire, il est le plus complexe que

nous ait légué l’Antiquité. Le monstre

marin à buste de femme et à la double

queue de poisson est représenté en

pleine attaque du navire d’Ulysse. Tandis

qu’il emporte d’une main la calotte

crânienne du timonier, les bustes de

chiens qui surgissent de sa taille dévorent

six compagnons du héros, conformément

au récit d’Homère. Sur la

Un gigantesque puzzle de 30 000 fragments

qu’il s’agissait de faire parler.

poupe, la précieuse inscription aux

noms d’Agésandros, Polydoros et

Athénodoros a retrouvé sa place.

Un peu plus loin, c’est la scène grandiose

de l’aveuglement de Polyphème

qui attend le visiteur. Etendu sur un

rocher, le gigantesque cyclope ivre et

endormiestsaisiaumomentoùUlysseet

ses compagnons s’apprêtent à enfoncer

un pieu dans son œil unique. La force

suggestive de la composition tient à la

reconstitutioncomplèted’unPolyphème

en plâtre et résine, inspirée par l’unique

représentation sculptée qu’on connaisse

de cet épisode : un relief en marbre du

III e siècle apr. J.-C. conservé au musée

municipal de Catane. De part et d’autre

dugroupesontdisposéslesvestigesoriginaux,

d’abord attribués au Laocoon

par Giulio Iacopi : les jambes et le bras

colossaux du cyclope, mais aussi la tête

d’Ulysse, coiffée du bonnet conique grec

ou pilos, dont la chevelure, la barbe et les

traits creusés évoquent de façon frappante

le visage du prêtre troyen.

Deux autres groupes complètent ce

récit sculpté des aventures d’Ulysse à

travers des épisodes de la guerre de

Troie. Le premier, dont il reste une tête

109

h

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!