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Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française

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L A SUITE DANS LES IDÉES

Par Eugénie Bastié

© HANNAH ASSOULINE/OPALE.

La ritournelle est ancienne. Déjà en

1976, dans Le Mal français, Alain

Peyrefitte auscultait les divisions et

l’impuissance de la France, son démon

centralisateur, sa bureaucratie tentaculaire. Las, depuis, les choses

ont empiré. Le poids de la dette publique était alors de 16 %, il est

aujourd’hui de 116 %. Le Léviathan à la française est devenu un

monstre obèse, aussi absolu qu’impotent, incapable de faire régner

la paix civile mais qualifié pour obliger au port du masque et à la

vaccination, embauchant toujours plus de fonctionnaires mais

contraint de recourir en plus à de coûteux cabinets de conseil privés.

C’est dire si la parole libérale a été entendue en France ! Laetitia

Strauch-Bonart ne se décourage pas, pourtant, et se met dans les

pas des grands intellectuels libéraux français qui, de Tocqueville à

Jean-François Revel, ont décrit avec talent le malheur français.

L’Etat, voilà l’ennemi ! On trouvera dans ce livre très riche nombre

des griefs justement formulés par les libéraux à l’égard de la

France : administration obèse, rachitisme de la société civile, culte

du diplôme, avantages statutaires, centralisation étouffante et égalitarisme

niveleur. L’auteur décrit ce qu’elle appelle la « société de

créance », le pacte faustien qui unit les Français à leur Etat : une relation

de dépendance où la providence et le gendarme se nourrissent

mutuellement, qui rend impossible toute réforme profonde.

Si pour les conservateurs, c’était mieux avant, pour les libéraux,

c’est souvent mieux ailleurs. Laetitia Strauch-Bonart vante les mérites

du Royaume-Uni, où elle a vécu, où l’administration est plus simple

et les gens plus polis. Elle moque avec un snobisme un peu agaçantleprovincialismedenosintellectuelsfrançaispeutraduits,dont

aucun ne figure dans le Top 100 des journaux américains. Elle n’imagine

guère que cela puisse relever, de la part de la puissance dominante,

d’un manque de curiosité, voire d’une certaine arrogance.

Elle avance cependant ailleurs des réflexions plus originales sur

l’irresponsabilité des élites, la préférence nationale pour le consensus

et le localisme. Au rebours des commentateurs qui fustigent

la « polarisation politique » grandissante de la France, Laetitia

Strauch-Bonart fustige au contraire l’affadissement démocratique

quiestlenôtre.Ellepointe avecjustesseleparadoxe d’unpaysdont

les outrances pamphlétaires compensent mal l’apathie politique,

où la «fièvre discursive va étonnamment de pair avec une préférence

pratique pour le consensus mou ». Le Léviathan français est si puissant

qu’en réalité personne ne veut véritablement le remettre en

cause. Nous sommes, de De Gaulle à Macron, un pays centriste qui

LE GROS MÉCHANT MOU

Dans un essai stimulant, Laetitia

Strauch-Bonart décrit, à la suite des

grands penseurs libéraux, une France

irréformable, éprise à la folie de l’homme

providentiel comme du consensus mou.

n’a jamais mis en œuvre une seule réforme radicale. Les Anglais

policés ont été capables d’un Brexit, là où nous sommes ligotés

par notre propre administration. En France, Margaret Thatcher et

Boris Johnson auraient été marginalisés dans les « extrêmes » au

profit d’un consensus mou jugé plus raisonnable par Alain Minc

et parLesEchoset doncnonnégociable.Originale,elleplaidepour

le RIC, le référendum d’initiative citoyenne, en général vomi par le

cercle de la raison des libéraux français, qui permettrait selon elle

de responsabiliser les citoyens et de permettre une intégration

démocratique bien davantage que les blablas faussement participatifs

du grand débat permanent macronien.

On sent finalement Laetitia Strauch-Bonart déchirée devant ce

pays irréformable, uniformisateur et pourtant riche de tant de

beautés.Tantôt elle semoque avec Revel de cette culture française

qui rayonne tant que le monde entier aurait dû mourir d’insolation,

tantôt elle admet avec Braudel qu’il existe bien un «triomphe

permanentdelaviefrançaise,quiestuntriompheculturel,unrayonnement

de civilisation ».

Celivre,àlaveilledel’électionprésidentielle,nouspermetsurtout

un pas de côté : et si l’un des problèmes de la France était de croire

à tout prix en l’homme providentiel, qui, prenant les rênes de la

machine de l’Etat, parviendrait enfin à nous sortir collectivement

de l’ornière ? Il nous faudrait peut-être cesser de croire en ce mythe

du sauveur et ne plus dépendre de l’Elysée pour changer la vie. 2

À LIRE

De La France. Ce pays

que l’on croyait connaître

Laetitia Strauch-Bonart

Perrin/Les Presses

de la Cité

320 pages

22 €

33

h

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