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Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française

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Comment le départ massif

des pieds-noirs s’explique-t-il ?

EN COUVERTURE

64

h

Les pieds-noirs sont pris au printemps 1962 dans une triangulation

qui brise à leurs yeux tout espoir de solution

pérenne pour eux en Algérie. Le cessez-le-feu n’a nullement

mis fin au terrorisme puisque l’OAS multiplie les attentats,

lesquels se chiffrent à plusieurs dizaines par jour en avrilmai

1962, principalement à Alger et à Oran. Il faut leur ajouter

les attentats et assassinats perpétrés par le FLN et l’ALN, qui

s’en prennent à l’OAS (en particulier dans le Grand-Alger pour

les commandos du FLN nouvellement formés), aux forces de

l’ordre, aux musulmans profrançais (un rapport transmis à

l’ONU évalue ces hommes menacés à 263 000), mais aussi

aux civils européens. En avril 1962, 600 actions sont imputées

au FLN, parmi lesquelles 185 attentats dirigés contre des

Européens. En mai, 805 attentats sont perpétrés qui sont la

cause de 176 morts. A ces morts et blessés, s’ajoutent les

enlèvements et les disparitions : on en compte 52 en avril et

135 en mai. Au total, du 19 mars à la fin d’octobre 1962, plusieurs

centaines d’Européens sont enlevés en Algérie ; et

1 583 restent à ce jour des disparus. Les services de Christian

Fouchet, au courant de cette situation, consignent cette

comptabilité macabre dans des messages et des rapports,

mais se révèlent impuissants à endiguer un processus qui

apparente à un chaos la transition prévue par Evian.

Pour les Français d’Algérie, les conséquences sont traumatisantes

et, pour un nombre croissant d’entre eux, l’alternative

se résume en une formule tristement célèbre : « la valise

ou le cercueil ». Ils craignent les représailles du FLN aux attentats

commis par l’OAS, en particulier lorsque celle-ci s’en

prend aux civils musulmans, comme lors de l’attentat à la voiture

piégée perpétré le 2 mai 1962 devant le centre d’embauche

des dockers d’Alger, qui fait 62 morts et 160 blessés. Les

Européens sont aussi tétanisés par la peur des enlèvements,

dont le commandant Si Azzedine a bien saisi la force de

l’impact en soulignant dans Et Alger ne brûla pas que « l’exode

massif des pieds-noirs est aussi la conséquence des enlèvements

perpétrés par les groupes de la Zone autonome », groupes

qu’il dirigeait alors. Le printemps 1962 est donc celui

de départs souvent improvisés et massifs dont les autorités

françaises avaient sous-estimé l’ampleur (on en prévoyait

entre 100 000 et 200 000, sur un peu plus d’un million). Ces

départs, que l’OAS ne peut empêcher, exacerbent la fureur de

certains de ses cadres comme ce militaire d’Aïn Temouchent

qui fulmine à la fin de mai 1962 contre « l’esprit détestable des

colons » et les « 85 % de lavettes » habitant cette « région » qui

« tous vont se retrouver sur les quais d’Oran ».

La prédiction est juste, et ce que les Français d’Algérie ont

appelé l’exode ou l’exil a déjà commencé, en particulier depuis

les zones où les Européens sont très minoritaires. Ainsi, dès le

début de mai 1962, de nombreux Européens vivant à Orléansville

s’emploient à réunir les pièces nécessaires à l’obtention

d’une autorisation de voyage. Les départs ne cessent d’augmenter

et on considère qu’à Alger, à partir du 1 er juin, ils se

déroulent au rythme de 12 000 par jour. Qu’ils soient consignés

par la prose de journalistes, comme Serge Groussard, de

L’Aurore, favorable à l’Algérie française et présent sur place à

l’époque, ou de témoins européens, y compris favorables aux

accords d’Evian, les mêmes mots et images reviennent. Ceux

d’une « grande peur », d’une « frayeur », d’une « ville qui déménage

tout d’un coup » dans un chaos souvent décrit : les meubles,

l’électroménager, les véhicules sont abandonnés ou souvent

détruits pour les rendre inutilisables car ils n’ont pu être

vendus.C’estuneversiondomestiquedela«terrebrûlée».L’exil,

ce sont aussi des foules hagardes embarquant sur des navires

bondés avec un bagage minimum et sans espoir de retour.

Tout est fini aux yeux de cette population, même si l’histoire

se poursuit. Un « accord » FLN-OAS négocié très difficilement,

sous l’égide de l’ancien maire « libéral » d’Alger, Jacques Chevallier,

entre Jean-Jacques Susini, au nom d’une OAS divisée,

et le FLN, représenté successivement par Farès puis par

le docteur Mostefaï, ne change rien à l’affaire. Le 17 juin 1962,

les auditeurs européens ont pu entendre Mostefaï leur déclarer

comprendre leur « désarroi » et mentionner l’OAS comme

interlocutrice du FLN. Peu après, par le même canal, l’OAS

donne l’ordre par la voix de Susini de « suspendre les combats

et d’arrêter les destructions » à partir de minuit. Susini en

appelle aussi à la mise en place d’« activités créatrices et fraternelles

» pour « sans distinction de race ni de religion (…) construir[e]

ensemble l’avenir algérien ». Au-delà de ces déclarations,

l’accord prévoit cependant peu de choses, même si

© KEYSTONE-FRANCE/GAMMA RAPHO.

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