Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française
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commandement « d’assurer le regroupement sous protection
des unités militaires, harkis et familles qui se sentent menacés
et n’auront pas choisi le licenciement ».
Dans la deuxième semaine de mai, seulement 5 000 demandes
de transfert en France ont été déposées, chiffre incluant les
femmes et les enfants. Beaucoup de supplétifs ont regagné
leurvillage,espérantsefaireoublier.Cependantd’anciensofficiersdeSAS,prévoyantlepire,ontprisl’initiative,endehorsde
la voie hiérarchique, d’évacuer discrètement leurs hommes
avecleursfamilles.Le12mai,LouisJoxe,ministredesAffaires
algériennes, adresse à Christian Fouchet, haut-commissaire
en Algérie, une note déplorant l’existence de réseaux militaires
qui se chargent d’organiser des rapatriements de supplétifs, et
ordonnant de rechercher les membres de ces réseaux et de les
sanctionner. Le même jour, Pierre Messmer, ministre des
Armées, donne une consigne identique. Le 17 mai, le ministre
de l’Intérieur, Roger Frey, adresse aux préfets une circulaire
visant à empêcher l’installation d’anciens supplétifs en métropole.
Le 18 mai, en application des directives reçues de Paris,
Christian Fouchet demande à tous les cadres « de s’abstenir de
toute initiative isolée destinée à provoquer l’installation des
Français musulmans en métropole ». Ces ordres seront appliqués
: des harkis, arrivés clandestinement à Marseille et
d’autres à Toulon, sont renvoyés à Alger.
Le sort du « magma d’auxiliaires »
C’estàpartirde l’indépendance,proclaméele5juillet1962,que
la situation des anciens supplétifs bascule. Suite au référendum
algérien du 1 er juillet, qui a approuvé l’indépendance de l’Algérie,
ils vont perdre la nationalité française. Une ordonnance française
du 21 juillet leur permettra de la récupérer, mais au moyen
d’une démarche complexe et devant s’effectuer sur le territoire
national.Pourcequiestdeleursécurité,plusrienn’estassurécar
le droit d’intervention des forces françaises est limité aux cas de
légitime défense des troupes ou d’attaque caractérisée contre
des Français. Or les harkis n’entrent pas dans ces catégories.
Dès le mois de juillet, le chef de la wilaya VI déclare que les
ancienssupplétifsserontcondamnésàmort.«Onnefaitpasune
DE TOUS LES COMBATS Ci-dessus : des harkis participant
à l’opération «Jumelles », menée en Kabylie à partir de juillet
1959 contre l’Armée de libération nationale, dans le cadre
du plan Challe. En bas : des troupes de harkis en 1959.
révolution sans quelques égorgements », proclame de son côté
le commandant de la wilaya I. Les anciens supplétifs, mais aussi
les musulmans anciens combattants et ceux qui ont été fonctionnaires
ou chefs de village sont arrêtés, et subissent des sévicesoud’abominablestortures,souventinfligésenpublic.Alafin
de l’année 1962, Jean-Marie Robert, sous-préfet de Sarlat, en
Dordogne, revenu d’Algérie où il était jusqu’au printemps précédent
sous-préfet d’Akbou, en Basse-Kabylie, adressera à
Alexandre Parodi, vice-président du Conseil d’Etat, un témoignageindirectsurlesortsubiparlesanciensharkisdansl’arrondissement
dont il était naguère l’administrateur. Son rapport
évoque par exemple les « supplices (…) de quelques dizaines de
harkis, promenés habillés en femmes, nez, oreilles, et lèvres coupés,
émasculés, enterrés vivants dans la chaux ou même dans
le ciment, ou brûlés vifs à l’essence », ou encore ceux qui ont été
« crucifiés sur des portes, nus sous le fouet en traînant des charrues,
ou la musculature arrachée avec des tenailles ».
Mohand Hamoumou a montré que l’anarchie régnant en
Algérie à l’été 1962 a favorisé les massacres, mais que les
autorités algériennes n’ont pas tenté de les arrêter. Les autorités
militaires françaises ne l’ont pas plus essayé, puisque
l’armée française, qui devait quitter l’Algérie au bout de trois
ans selon les accords d’Evian, était encore sur place. Le
24 août 1962, au plus fort des massacres, l’état-major français
d’Algérie donnait cet ordre : « Ne procéder en aucun cas à des
opérations de recherche dans les douars de harkis et de leurs
familles. » Devant l’ampleur de la tuerie, le Premier ministre,
Georges Pompidou, demandera quand même, le 19 septembre,
de reprendre « le transfert en France des anciens supplétifs
qui sont actuellement en Algérie et qui sont venus chercher
refuge auprès des forces françaises sous la menace de
représailles de leurs compatriotes ». Après la formation d’un
gouvernementalgérienrégulierparBenBella,le26septembre
1962, les arrestations se poursuivront, et s’accroîtront de la fin
du mois d’octobre au début du mois de décembre 1962. Ce
n’est qu’au début de l’année 1963 que le nombre d’exactions
77
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