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Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française

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ÉDITORIAL

Par Michel De Jaeghere

incriminent sans indulgence la France, comme les 50 000 ou

80 000 harkis livrés à leurs bourreaux semblent devoir rester victimes,

non de ses choix politiques, mais de la fatalité de l’Histoire.

Aucune ombre ne doit planer sur la statue du Commandeur.

Le vrai est que, parvenu au pouvoir sur un mensonge public et

éclatant, et décidé à mener une politique d’abandon qui était la

négation même de sa réputation de défense intransigeante du territoire

(« Avez-vous déjà vu De Gaulle abandonner quelqu’un ou

quelque chose ? » avait-il assuré, en septembre 1958, au capitaine

Georges Oudinot, un officier inquiet de ce que l’évolution de la

politique gaullienne seretourne un jour contre les moghaznis dont

lui-même assurait, alors, le recrutement en leur promettant que la

France était décidée à rester définitivement), le chef de l’Etat s’était

lui-même condamné à imposer sa solution par l’arbitraire, la dissimulation

et la violence. Devant le Haut Tribunal militaire constitué

toutexprèspourprononcersacondamnationàmortenchâtiment

de sa rébellion (il sera dissous au lendemain du prononcé d’un verdict

de réclusion perpétuelle qui avait suscité la colère du chef de

l’Etat),legénéralSalansauveraitsatêteenproduisant,parlavoixde

ses avocats Bernard Le Corroller et Jean-Louis Tixier-Vignancour,

cet appel de Michel Debré, futur Premier ministre liquidateur de

l’Algérie française proclamant, sous la IV e République, que contre

un gouvernement qui se placerait « hors la loi » en prétendant

abandonner les départements algériens, l’insurrection relèverait,

pour les patriotes, de la «légitime défense ».

Henri-Christian Giraud révèle, dans Le Piège gaulliste (Perrin), le

livre passionnant qu’il vient de dédier à la politique algérienne du

général De Gaulle, que, partisan jusqu’alors de l’Algérie française,

celui-ci avait été retourné en 1954 par le démographe Alfred

Sauvy, quiluiavaitmontréquel’évolutiondespopulationsmusulmane

et européenne (9 millions à forte natalité d’un côté ; 1 million

de l’autre) rendrait à terme la situation intenable pour la

France. L’argument pèsed’un poids immense.Il rend d’autant plus

incompréhensible le fait que l’indépendance accordée à l’Algérie

se soit accompagnée du maintien de la libre circulation des personnes

vers la France au bénéfice des ressortissants du nouvel

Etat algérien. Conjuguée aux violences de la guerre civile algéroalgérienne

qui avait suivi l’indépendance, à la ruine du pays par le

socialisme révolutionnaire,cette ouverture denos frontières donnerait

dès l’année 1962 et tout au long des suivantes un formidablecoup

defouet à l’immigration algérienne en France, accélérant

le phénomène qu’on avait prétendu conjurer par la sécession : il y

a aujourd’hui plus de possesseurs de la nationalité algérienne en

France qu’il y avait de musulmans en Algérie en 1830.

Une autre issue aurait-elle été possible ? Alain Peyrefitte avait

consacré, en 1961, une longue étude aux possibilités qu’ouvriraient

unepartitioninspiréedecellesdelaCoréeouduVietnam,unefédération

analogue à celle qui unit le Canada au Québec, ou la mise en

place d’institutions paritaires, protectrices de la minorité, telles que

celles qui ont longtemps protégé les droits des chrétiens au Liban

ou ceux des musulmans à Chypre. Ce fut tout le thème d’un livre

écrit dans les jours qui suivirent la signature des accords d’Evian par

notre futur prix Nobel d’économie, le Pr Maurice Allais (L’Algérie

d’Evian). Il y avait prophétisé avec une lucidité remarquable leur

échec et, faute de garanties réelles pour les Européens et les musulmans

profrançais, l’exode des pieds-noirs, le massacre des harkis et

le basculement du pays dans une dictature revancharde.

Lessolutionsalternativespeinentpourtantàreteniraujourd’hui

notre attention. Nous les rejetons d’un haussement d’épaules.

Nous sentons, par l’exemple que nous donne, partout, l’évolution

du monde, que l’indépendance de l’Algérie était inéluctable,

quand même l’on concède qu’elle aurait pu se faire dans de meilleures

conditions : en mettant à la tête du pays les alliés dont la

France disposait sur place ou des opposants raisonnables plutôt

qu’en le confiant à ses pires adversaires.

Reste que la fin de l’Algérie française a été, en définitive, une nouvelle

étape du grand déclassement dont la débâcle de 1940 avait

donnélesignal;qu’ellemarqueenquelquesorteletermed’uneévolution

qui court sur tout le XX e siècle et qui a vu la France, en dépit

des apparences maintenues par notre présence, en 1945, à la table

des vainqueurs, par l’octroi, arraché en 1944-1945 par le succès de

nos armes, d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations

unies, quitter le cercle des puissances de premier rang, pleinement

maîtresses de leur histoire. Le grand art du général De Gaulle aura

été de dissimuler, par la virtuosité de sa rhétorique, la cruauté de

l’événement à ses concitoyens, de les convaincre que la poursuite

de la prospérité leur ouvrait au contraire des horizons tout aussi

exaltants que les mirages d’une inaccessible puissance.

Sa plus grande faiblesse aura été de ne pas voir le désarmement

des esprits qu’impliquait cette reconversion, cette réorientation

du récit national vers les seuls délices de la consommation, l’accumulation

des biens matériels et les satisfactions du bien-être à

court terme. «Le goût du repos ne peut se conserver que s’il s’unit au

goût de l’action, dit Périclès aux Athéniens dans Thucydide ; il ne

convient pas à une cité souveraine et c’est seulement dans une cité

sujette que l’on peut jouir d’un esclavage sans danger. » (La Guerre

du Péloponnèse II, 63). L’atonie avec laquelle notre pays a subi, les

années suivantes, l’invasion pacifique de son territoire par les peuples

laissés à eux-mêmes par la décolonisation et avides de venir

profiter des richesses de l’eldorado européen, quand ils n’estiment

pas devoir prendre sur nous une légitime revanche, la résignation

avec laquelle il l’a jugée, elle aussi, après tout, « inévitable », n’a

peut-être pas d’autre origine que le lâche soulagement avec lequel

il avait, alors, consenti à sortir de l’Histoire.

«L’Algérie algérienne, fille de la violence et du meurtre, sera une terre

de désordre, de violence et de haine, avait prévenu en 1960 le plus

prestigieux des porte-parole des musulmans fidèles à la France, le

bachaga Boualem. Alors, ce sera à vous, Français de la métropole, de

répondre denosvies,decellesdenosfamillesetdecellesdenosenfants.

(…) Nous abandonnerez-vous aux mains de ceux qui, dans les djebels

et dans les villes de métropole, ont aussi assassiné vos propres enfants ?

Si oui, c’est que le vent de l’Histoire existe vraiment et qu’il balaiera le

nom même de la France. » A soixante ans de distance, son avertissement

prend aujourd’hui une résonance saisissante.2

5

h

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