Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française
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CARTES : © PHILIPPE GODEFROY. © SHUTTERSTOCK/SERHII KHOMIAK.
simple prince mais un monarque au sens
occidental:en 1253,ilenvoyaen Galicieune
délégation papale pour le couronner rex
Russiae, c’est-à-dire roi de la Rus’.
Evidemment, une telle action provoqua
la colère du khan, qui envoya une armée
pour faire rentrer dans le rang le « roi »
récalcitrant. Alors que Daniel comptait sur
l’aide de ses alliés catholiques, personne
ne vint à son secours. Seul face aux forces
tataro-mongoles, il se vit contraint de
renouveler son allégeance.
Ainsi se créa une ligne de partage au
cœur même de la Rus’. Tandis que, dans
l’Est, les principautés de Vladimir, puis de
Moscou, reprenaient le legs orthodoxe
kiévien dans une entité qui finirait par
devenir la Russie, à l’ouest, le même héritage
se mêlait aux influences étrangères,
principalement catholiques, pour constituer
denouveauxensembles,tiraillésentre
les Etats de cette partie de l’Europe centrale.
Au XIV e siècle, la principauté de Galicie-Volhynie
finit par être absorbée par ses
voisins : la Pologne s’empara de la Galicie,
tandis que la Lituanie mettait la main sur
une grande partie de la Volhynie.
A ce point de notre récit, nous n’avons
pas encore rencontré le nom d’Ukraine
(Oukraïna)pourdésignerunpaysoumême
une simple contrée particulière. Il existait
bel et bien, mais il ne désignait cependant
aucune entité territoriale. Dérivé de kraï
(territoire), il signifiait simplement « audelàduterritoire
»,cequel’onappelaitjadis
les « marches » d’un royaume. Ce terme
était attribué à tout territoire lointain et
excentré. « Ukraine » ne devint le nom du
territoire qui s’étendait sur les steppes du
nord de la mer Noire que bien plus tard, à
partir du XVI e siècle, mais il ne désignait pas
encore unEtat,simplementdesrégions que
se disputaient les Etats avoisinants.
La puissance véritablement dominante
alors était la Lituanie, qui finit par mettre la
main non seulement sur la Volhynie mais
encore sur l’ensemble des principautés de la
Rus’ des origines, à l’exception de la Galicie,
intégrée au royaume de Pologne. Le clivage
entrecesdeuxpartiesdesterritoiresconquis
devient criant : les grands-ducs de Lituanie
étaient tolérants en matière religieuse et,
quoique d’origine païenne, permettaient la
LES VENTS DES PLAINES Ci-dessus : statue du roi Daniel (1201-1264) à Lviv. Prince de
Galicie-Volhynie, dans l’ouest de l’Ukraine, Daniel reconnut l’autorité du pape Innocent IV
qui le fit couronner roi de la Rus’ en 1253. Page de gauche : ouvertes aux invasions,
les plaines d’Ukraine ont été la proie de nombreuses conquêtes. A partir du XIII e siècle, le
territoire qui formera l’Ukraine moderne se divise entre une partie orientale soumise
aux Tatars et tournée de plus en plus vers la Moscovie, et une partie occidentale qui tombe
sous l’influence des conquérants polonais et lituaniens. En 1667, le traité polono-russe
d’Androussovo consacra la division politique et culturelle entre l’ouest et l’est de l’Ukraine.
permanence de l’orthodoxie sur leur territoire,
alors que les rois de Pologne imposaient
le catholicisme sur le leur.
Progressivement, la Pologne se renforça
et la Lituanie déclina, poussant les deux
Etats à conclure une union dynastique qui
se transforma, par l’Union de Lublin de
1569, en une nouvelle entité : la république
des Deux Nations, une monarchie élective
dans laquelle le grand-duché de Lituanie
bénéficiait d’une grande autonomie. Néanmoins,le
pouvoir de Varsovie mit à profit le
rapprochement pour annexer trois régions
de l’ancienne Rus’ précédemment sous
contrôle lituanien : Tchernigov, Bratslav et
Kiev. Ce furent ces trois «voïvodies » (provinces)nouvellementintégréesquireçurent
le nom officiel d’Ukraine car elles constituaient
les «marches » du sud du royaume.
L’ÉMERGENCE D’UN ÉTAT COSAQUE
Mais Oukraïna ne devint progressivement le
nom du territoire que l’on connaît aujourd’hui
qu’avec l’émergence d’une nouvelle
force militaire et politique : les Cosaques.
Leur origine est intimement liée à la steppe.
Plaines exceptionnellement fertiles mais
sansvéritablesobstaclesnaturels,lessteppes
étaient ouvertes aux invasions et ravagées
régulièrementparlesguerresquiopposaient
pour leur contrôle les puissances voisines : la
Pologne et la Lituanie, comme nous l’avons
vu, mais aussi la Moscovie à l’est et, au sud, le
khanat de Crimée, l’un des Etats tatars issus
des invasions mongoles. L’Empire ottoman
vint s’y ajouter, surtout après la chute de
Constantinople en 1453.
Le besoin de terres cultivables poussa les
Polonais à exploiter les territoires des steppes
sous leur contrôle, notamment dans les
trois voïvodies « ukrainiennes » de Kiev,
Tchernigov et Bratslav. Cependant, la colonisation
ne s’étendit pas à toute la steppe.
D’énormes zones demeuraient inexploitées
à la lisière des frontières avec le khanat de
Crimée. La richesse de ces contrées, qu’un
contemporaincomparaitàlaterrequeDieu
promit aux Hébreux, «où coulaient le lait et
le miel », ne pouvait qu’attirer la convoitise
d’aventuriers – chasseurs, trappeurs, mais
aussi paysans – prêts à braver les dangers
des raids des Tatars à la recherche de butin,
d’esclaves ou de récoltes exceptionnelles.
Peu à peu, des exploitations permanentes
s’établirent. Par la force des choses, les travailleurs
développèrent des aptitudes militaires
pour assurer leur propre défense. Ils
attirèrent aussi leur lot de hors-la-loi et de
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