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Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française

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D ÉCRYPTAGE

Par Guy Pervillé

UnPeuple

DeuxRives

entre

EN COUVERTURE

80

h

Si l’expression « pieds-noirs » désigne aujourd’hui

les Européens d’Algérie, elle semble n’être apparue

que dans les dernières années qui ont précédé

l’exode de ceux qui furent les premiers « Algériens ».

pittoresque de « piedsnoirs

» désigne couramment, depuis

L’appellation

1962, les Français rapatriés d’Algérie.

Elle a évoqué, dans l’esprit des Français

métropolitains,desimagestrèscontrastées.

La première était celle, particulièrement

péjorative, de « colons » exploiteurs de la

misère de la population algérienne indigène,

et incapables par nature de comprendre

la légitimité de sa juste révolte, donc

coresponsables du sabotage des accords

d’Evian par l’OAS et de leur propre malheur.

La deuxième, plus charitable, voyait en eux

des victimes de l’histoire, ayant perdu tout

ce qu’elles possédaient, dispersées en terre

inconnue, et exposées au froid glacial de

l’hiver 1962-1963. La troisième, plus positive,

était sensible à l’énergie que ces «rapatriés

» expatriés mirent à reconstruire leur

vie à partir de rien et à la joie de vivre que

traduisaient,malgrétousleursmalheurs,les

chansons populaires de leur vedette Enrico

Macias. L’importance de chacune a varié,

mais elles sont encore présentes à des

degrés divers dans différents secteurs de

l’opinion publique métropolitaine.

Mais que signifie cette expression, appliquée

à des individus dont les types physiques

ne permettaient pas de les distinguer

à coup sûr de leurs compatriotes métropolitains,

et d’où venait-elle ? Les explications

les plus couramment citées, fournies

dès 1962 par le linguiste André Lanly dans

son livre sur Le Français d’Afrique du Nord,

telles que les bottes noires portées par les

premiersimmigrantsfrançaisenAlgérieou

par les soldats de l’armée d’Afrique, ou la

couleur des pieds des premiers défricheurs

foulant le raisin avec leurs pieds nus, manquaient

de preuves. Le dictionnaire de

Paul Robert (lui-même issu d’une grande

famille de colons algériens) publié à partir

de 1972 était mieux informé : « pied-noir :

nom donné plaisamment aux Européens

fixés en Afrique du Nord (et spécialement

en Algérie) depuis plusieurs générations

(ou même simplement depuis quelques

années). Remarque : cette expression s’est

d’abord appliquée aux indigènes, par allusion

aux pieds nus des Arabes du bled. » Un

exemple parfaitement identifié se trouve,

de fait, dans un article du journal indigène

La Défense, publié à Alger en février 1934,

intitulé «Un geste révoltant », qui dénonçait

le racisme colonial en énumérant

toute la litanie des injures racistes antiarabes

: « pied-noir » y figurait en bonne

place, à côté de « bicot », « raton » et

« tronc de figuier », ce qui ne laisse aucun

doute sur son sens à l’époque.

Comment donc expliquer cette mutation

sémantique, et comment la dater ?

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