Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française
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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
14
h
Mais, comme toujours, les minorités agissantes
emportent les décisions.
NAISSANCE D’UN ÉTAT
SOUS CONTRÔLE
Enmars 1918,lasignature parlesbolcheviks
du traité de Brest-Litovsk avec Berlin laissa
aux Allemands le contrôle de l’Ukraine du
Dniepr. Dans un premier temps, ils tentèrent
de s’entendre avec les nationalistes
ukrainiens pour soutenir la création d’une
République nationale d’Ukraine (UNR)
dont la tâche, en échange de l’indépendance,devaitêtre
desoutenirl’approvisionnement
notamment alimentaire del’armée
allemande. Au bout de deux mois, constatant
l’incapacité de l’UNR à tenir ses engagements,
les Allemands décidèrent d’installeraupouvoirleurproprehomme,ungénéral
de l’armée tsariste, Pavlo Skoropadsky,
qui se fit proclamer hetman et instaura un
pouvoir autoritaire. Pour la première fois,
l’Ukraine était indépendante, mais sous
contrôle de Berlin.
Le pouvoir de Skoropadsky ne dura
que jusqu’à la signature de l’armistice de
novembre 1918. Les Allemands partis, il
s’effondra, laissant l’UNR tenter de revenir,
tandisqu’uneRépubliquesocialistesoviétique
d’Ukraine (RSSU), dirigée par les bolcheviks,
lui disputait le pouvoir. Lénine et
son « acolyte », le commissaire aux Nationalités
Joseph Staline, avaient en la matière
une vision proche de celle des Habsbourg
et estimaient que chaque nationalité présente
dans l’ancienne « prison des peuples
» devait disposer de son territoire,
de sa langue et de ses institutions… bien
évidemment sous le contrôle strictdu Parti
communiste bolchevique.
La guerre atroce entre l’UNR et la RSSU
dura trois longues années, dans un chaos où
se mêlaient aussi les généraux blancs et leurs
troupes, des armées anarchistes et des bandessans
foiniloi,quirivalisaient aussidans la
haine des Juifs et la dimension des pogroms
dont ils se rendaient coupables. Les bolcheviks
finirent par l’emporter et la RSS
d’UkrainedevintunEtatofficiellementindépendant,
mais soumis aux ordres des camarades
de Moscou. Quant à la Galicie, le traité
de Versailles l’attribua à la Pologne, faisant
perdurer ainsi le partage entre l’est et l’ouest.
Cependant, la formation de la RSS
d’Ukraine présentait, dès le départ, une
faille majeure qui ne manqua pas d’apparaître,
dans toute sa complexité, soixante-dix
ans plus tard, lors de l’effondrement de
l’URSS. La composition de la population
était en effet loin d’être uniforme dans les
anciennes régions de l’empire ainsi regroupées
par les Soviétiques : dans la partie
orientale, dans le « bassin du Donets » ou
Donbass, formé schématiquement par les
anciennes slobody, les habitants étaient
majoritairement Russes ethniques et
n’avaient jamais parlé l’ukrainien. Dans le
reste de l’Ukraine, en revanche, un sentiment
national sedéveloppa d’autant mieux
que la politique officielle du Parti communiste,
du moins dans les années 1920, était
la korenizatsija (l’«indigénisation »), qui
consistait à promouvoir l’autonomie culturelle
des différents peuples de l’URSS.
Dans ce cadre, l’ukrainien, langue officielle
delaRSSU,futfavoriséetenseigné.Audébut
des années 1930, il ne s’était jamais publié
autant de livres, de journaux et de revues en
ukrainien. De la même manière, les Russes et
les membres des autres nationalités présentes
sur le territoire – Polonais, Allemands,
Juifs, etc. – avaient le droit de recevoir un
enseignement dans leur propre langue et de
disposer de leurs propres publications. En
réalité, la nationalité de chaque habitant
de l’URSS était décorrélée de l’endroit où il
habitait. Ses papiers d’identité (le fameux
«passeport intérieur ») mentionnaient sa
citoyenneté – soviétique – et, dans le cinquième
paragraphe, sa nationalité propre,
c’est-à-dire celle de son lieu de naissance ou
de l’un de ses parents. Et peu importait l’itinéraire
qu’il suivait au cours de sa vie.
Dans lesannées1930,l’usagedeslangues
nationalesfutprogressivementmisdecôté
tandis que progressaient l’industrialisation
de l’URSS à travers les plans quinquennaux
et la collectivisation de l’agriculture, qui
imposaient une gestion unifiée de l’ensemble
du pays. Dans l’esprit de Staline et des
membres de la direction soviétique, cette
politique exigeait l’usage du russe comme
langue d’uniformisation.
Lacollectivisationdesterresfutaumême
moment à l’origine de l’une des plus grandes
catastrophes de l’époque. Il s’agissait
d’éliminer la classe sociale des paysans propriétaires
de leurs champs (koulaks) et de
les transformer en ouvriers agricoles dans
le cadre des fermes collectives ou d’Etat,
kolkhozes et sovkhozes.
La dékoulakisation se traduisit par la
confiscation des terres et des récoltes, ce
qui désorganisa totalement la production
agricole, provoquant une grande famine
qui culmina en 1932 et 1933, faisant quelque
sept millions de morts dans l’ensemble
de l’URSS : notamment en Russie et au
Kazakhstan, mais surtout en Ukraine où se
concentrait la plus grande partie des terres
agricoles. Rien que là, périrent quelque
quatre millions de personnes. Le souvenir
de cet événement – le Holodomor, que l’on
peut traduire par «famine » mais aussi par
«extermination par la faim » – est devenu,
depuisl’indépendanceen1991,unélément
important du ressentiment des Ukrainiens
à l’égard des Russes, même si cette conséquence
inhumaine de la collectivisation,
qui ne tenait pas compte des frontières,
était sociale et non ethnique.
La Seconde Guerre mondiale apporta à
l’Ukraine un lot de souffrances supplémentaires
car la majeure partie des combats
entre Allemands et Soviétiques se déroula
sur son sol. En 1941, beaucoup d’Ukrainiens,
qui avaient tant souffert du communisme,
accueillirent la Wehrmacht en libératrice. Ils
déchantèrent bien vite car Hitler n’avait nullementl’intentiondecréerunEtatukrainien
associé au Reich dans les valeurs du national-socialisme,
comme le demandait dans
une proclamation d’indépendance, le
30 juin 1941, l’un des principaux dirigeants
© AKG-IMAGES/ELSENGOLD VERLAG/SAMMLUNG WOLFGANG HOLTZ. © ALEXANDER KHUDOTEPLY/AFP.