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Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française

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EN COUVERTURE

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h

l’indépendance au prix fort (140 000 frontistes civils ou militaires

seront tués entre 1954 et 1962), le Front ne peut, faute

de moyens militaires importants, vaincre sur le terrain. Mais il

peut miser sur le découragement de l’adversaire.

Les chefs rebelles ont en effet saisi l’essence de la « guerre

asymétrique » : un conflit où le plus faible peut l’emporter s’il

finit par écœurer le plus fort. En dépit des luttes intestines à

mort et des purges sanglantes (entre 10 000 et 12 000 victimes

en huit ans de conflit),parfois attisées par les services spéciaux

français, l’objectif frontiste sera de tenir jusqu’au moment où

l’ennemi finira par renoncer de guerre lasse. Avec le soutien du

tiers-monde et des pays communistes, la prolongation d’une

lutte d’apparence inégale constitue de ce fait le deuxième pilier

d’une stratégie fondée sur l’usure de la volonté adverse.

Qu’en est-il, justement, de l’opinion française ? Au début de

1955, deux mois après le déclenchement de l’insurrection de

la«Toussaintsanglante»,àpeine15%desmétropolitainssondés

par l’Ifop considèrent les « événements d’Afrique du Nord »

comme importants. En décembre, ils sont 25 %, mais un total

de 40 % des sondés se sentent plus concernés par les problèmes

économiques et sociaux. Dès 1956, année où le gouvernement

socialiste SFIO de Guy Mollet mobilise le contingent,

une forme de pessimisme s’installe : en avril, seuls 31 % des

sondés pensent que l’Algérie sera encore française dans cinq

ans, contre 25 % qui croient le contraire et 44 % qui ne se prononcent

pas. En juillet 1957, 53 % estiment qu’une négociation

avec les rebelles s’impose. Un chiffre qui monte à 56 % en

janvier 1958 avant de retomber avec les espoirs contradictoires

suscités par l’arrivée de De Gaulle au pouvoir.

Les métropolitains sont fatigués d’une guerre qui hypothèque

l’avenir de la partie masculine de la jeunesse. Le gouvernement

Mollet a en effet porté de dix-huit à vingt-sept mois la

durée légale d’incorporation du contingent et à vingt-huit voire

à trente pour certaines catégories. En février 1959, un métropolitain

sondé sur deux pense déjà que la France devra composer

avec le FLN. Le divorce est patent entre ces « Français de

France » et les pieds-noirs ou les militaires de carrière, persuadés

du contraire. Il s’accentue après le discours du 16 septembre1959,oùDeGaulle,sortantdel’ambiguïté,proclamepourla

première fois ouvertement le droit de l’Algérie à « l’autodétermination».Endécembre,57%dessondésmétropolitainsapprouvent

le principe de négociations avec le FLN contre 18 % qui s’y

opposent, dont seulement 5 % de manière résolue.

Vers la guerre civile

Dans ce contexte survient, le 24 janvier 1960, la « semaine des

barricades », premier épisode significatif de la guerre civile

franco-française qui couve. Un mouvement pied-noir ultra, le

Front national français (FNF), prépare, d’accord avec une partie

des officiers de l’état-major du général Massu, une démonstration

de force pour protester contre le discours du 16 septembre

et le limogeage du vainqueur de la bataille d’Alger de 1956-

1957 contre le FLN, qui a osé critiquer la politique algérienne du

chef de l’Etat devant un journaliste allemand.

Lesunités territoriales, lesUT,sontleferdelancedelamanifestation

: elles sont formées de Français d’Algérie cantonnés

au rôle d’auxiliaires de l’armée, à l’exception d’éléments plus

opérationnels telle l’UT blindée. De peur de règlements de

comptes avec « les Arabes », les divers gouvernements n’ont

en effet pas voulu mobiliser les pieds-noirs en masse. En incitant

les UT à manifester l’arme à la main, les chefs du FNF,

Joseph Ortiz, Jean-Jacques Susini ou le Dr Pérez, espèrent

créer une situation insurrectionnelle. Mais à l’état-major, les

colonels Argoud, Broizat ou Gardes se contenteraient d’un

choc psychologique contre la « politique d’abandon », comme

le 13 mai 1958, lorsque la foule, envahissant pacifiquement

lesbâtimentsduGouvernementgénéraldel’Algérie,adéclenché

la crise fatale à la IV e République.

Le 24 janvier 1960, des tiraillements entre parachutistes,

adulés des pieds-noirs, et gendarmes mobiles, beaucoup

moins appréciés, créent une situation explosive. Au grand dam

du FNF, la plupart des UT manifestent sans armes. Mais pas

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