Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française
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EN COUVERTURE
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h
ICÔNE Ci-dessus : le général Massu. «Tant que je serai ici, pas de crainte pour l’Algérie
française ! » répète celui qui, préfet de la zone militaire de l’Algérois, est l’idole des piedsnoirs
depuis qu’il a démantelé l’organisation du FLN dans la «bataille d’Alger » de 1957
et participé à l’insurrection du 13 mai 1958. Tombé dans le piège tendu par le «cabinet
noir » gaulliste, il désavoue publiquement la politique algérienne du général, et est
rappelé en métropole en janvier 1960. Page de droite : violente manifestation musulmane
pour l’indépendance de l’Algérie, contenue par un cordon de CRS, le 12 décembre 1960,
dans le quartier de Belcourt à Alger, lors du voyage de De Gaulle.
promotion, comprend que ce qu’il
craignait confusément va se dérouler
implacablement jusqu’à l’abandon de
sa terre natale. C’est lui qui est dans le
vrai. Dès le 20 octobre, De Gaulle dit à
Peyrefitte au sujet de l’Algérie : «C’est un
terrible boulet. Il faut le détacher. C’est
ma mission. » Décidé à brusquer les
choses, c’est-à-dire, malgré ce qu’il dit, à
tenir pour rien les conditions de temps
et de sécurité nécessaires à la bonne
tenue du référendum, De Gaulle choisit
l’affrontement par la provocation.
Comment?Laprincipaleforceducamp
ennemi étant le couple armée-piedsnoirs
que symbolise le général Massu,
l’auteur de La Discorde chez l’ennemi,
servi par l’habile Foccart, monte son
piège pour briser ce couple.
C’est ce que vous appelez
« l’opération Massu ».
Enrésumé,selonlescénariomisaupoint
par le «cabinet noir » gaulliste (l’expression
est de François Mitterrand), il s’agit
de faire en sorte que le bouillant général,
patron de la 10 e D.P. et préfet de la
zone militaire d’Alger, très engagé dans
le maintien de l’Algérie dans la France
(«Tant que je serai ici, pas de crainte pour
l’Algérie française ! » répète-t-il à l’envi)
et, de ce fait, l’icône des pieds-noirs,
désavoue publiquement la politique
gaulliste. Ce sera alors le prétexte de son
éviction, qui, chacun le sait, entraînera
inévitablement la révolte de la population
européenne que le pouvoir, fort
d’un encadrement militaire très renouvelé
à base d’ex-membres des Forces
françaises libres, brisera dans le sang.
Dans le sang ? Ne forcezvous
pas le trait ?
Je n’invente rien. Debré confie dans ses
Mémoires avoir brûlé les ordres rédigés
par De Gaulle pour empêcher que « sa
figure soit abîmée ». Et le général Ely,
chef d’état-major des armées, confirme
que ces ordres comportaient « l’ouverture
du feu sur une foule où se trouvent
des femmes et des enfants ».
Reste que, pour pousser Massu à la
faute, il faut vaincre sa méfiance et pour
cela que le piège soit indétectable et
donc qu’il vienne de loin, de l’étranger
même si possible. Ce sera d’Allemagne,
où l’ambassade française à Bonn prépare
le terrain à un journaliste, Hans
Ulrich Kempski, du Süddeutsche Zeitung
de Munich, pour lui obtenir l’autorisationdefaireunreportagesurlasituation
militaire en Algérie. Elle le recommande
chaudement en vantant ses bonnes dispositionsauQuaid’Orsayqui,àsontour,
fait suivre l’autorisation à la Délégation
générale en Algérie. Cette mobilisation
d’autorités successives (un ambassadeur,
un ministre des Affaires étrangères,
un délégué du gouvernement)
ne peut évidemment qu’être cautionnée
par l’Elysée. A plus forte raison en
ce moment de fièvre suscitée sur place
par le discours sur l’autodétermination.
Or le fameux Kempski, ancien parachutiste
dans la Wehrmacht et affichant
désormais des opinions de gauche, était
enréalitécibléparlaMainrouge,lafiliale
du SDECE spécialisée dans l’assassinat
des soutiens du FLN (elle en aura, selon
Constantin Melnik, le responsable des
services à Matignon, quelque 103 à son
actif pour la seule année 1961 !). Notre
ambassade à Bonn ne pouvait évidemment
pas l’ignorer, non plus que le président
de la République, puisque chaque
opération «Homo » devait recevoir son
assentiment.D’ailleurs,LouisTerrenoire,
ignorant des dessous de l’affaire, vend la
mèche : « Désireux d’aller enquêter en
Algérie,[Kempski]aobtenuunvisadenos
servicesdechancellerieàBonn,bienqu’ily
ait eu des raisons de le lui refuser, dit-il. Les
facilités qui lui ont été accordées lui permettront
de franchir la porte du général
Massu et d’obtenir une interview. »
Sur la base d’autres indices encore, on
peut légitimement affirmer que le SR lui
amislemarchéenmain:lacoopération,
avec un probable scoop à la clé, ce qui
n’est pas négligeable pour un journaliste,
ou un mauvais sort. Tout se passe
comme prévu : Massu se lâche, l’interview
bien mise en scène à la une du Süddeutsche
Zeitung sous le titre « Massu
déçu par De Gaulle » et en sous-titre
« Le général de parachutistes prend ses
distances avec la politique algérienne
du président » paraît, comme par
hasard, le 18 janvier 1960, quatre jours
avant la réunion à l’Elysée de tous les
responsables en Algérie, à laquelle
Massu doit participer, alors que le reste
du reportage de Kempski ne paraîtra
qu’à partir du 25 janvier…
L’interview fait scandale, et sans même
entendre son fidèle compagnon qui crie
au complot et dément ses propos,