L’ESPRIT DES LIEUX114h© S. DUBROMEL/HANS LUCAS. © ALAIN LEPRINCE/SERVICE PHOTOGRAPHIQUE DE LA PISCINE, MUSÉE D’ART ET D’INDUSTRIE DE ROUBAIX/SP.L IEUX DE MÉMOIREPar Albane PiotdeUnbaincultureIl y a tout juste vingt ans le muséed’Art et d’Industrie de Roubaix offraitune seconde vie à la somptueusepiscine Art déco de la rue des Champs.
© PHOTOPQR/VOIX DU NORD/THIERRY THOREL/MAXPPP.Elle avait été bâtie entre 1927 et 1932à la demande du premier mairesocialiste de Roubaix, Jean Lebas, quil’avait voulue «la plus belle de France ».Menacée de destruction au début desannées 1980, elle fut sauvée par le maire del’époque, André Diligent, et convertie depiscine municipale en un musée d’Art etd’Industrie dont on a célébré à l’automnedernier les vingt ans de l’ouverture aupublic. Un musée riche de collections degrande qualité, mais qui n’a jamais gommél’identité première de ce grand bâtimentArt déco cher au cœur des Roubaisiens :il a su conserver l’essentiel de ses volumeset de son esthétique, l’évocation de seséquipements hygiéniques si modernespour l’époque et surtout de son longbassin flanqué aux deux extrémitésde larges verrières en éventail évoquantle soleil couchant et le soleil levant.L’élection, en 1912, de Jean Lebas contreEugène Motte avait été un événement.Elle mettait fin à la confusion des pouvoirséconomique et politique que la villeavait connue tout au long du XIX e siècle,IMPRESSION, SOLEIL LEVANT Ci-dessus : l’un des deux vitraux au décor de soleil levantet de soleil couchant qui se reflètent dans l’ancien bassin de natation, transformé enmiroir d’eau (page de gauche, en haut). Sous sa voûte en coque en béton, la salle, qui abritedésormais les collections de sculptures, a des allures de nef d’abbatiale. Véritable icône deLa Piscine, La Petite Châtelaine (page de gauche, en bas, par Camille Claudel, 1895-1896) estla première sculpture acquise par un musée français grâce à une souscription publique.Roubaix ayant toujours eu jusqu’alors pourmaire un grand patron du textile. La villeétait passée de 8 000 habitants en 1800à 125 000 habitants en 1900, à la faveurd’une forte immigration ouvrière venuedes Flandres, et l’habitat semi-collectifconstruit pour accueillir celle-ci était laplupart du temps dénué de toute hygiène.Quand s’installe véritablement cettenouvelle municipalité à l’issue de laPremière Guerre mondiale, la tuberculosefait des ravages terribles dans les courées.Avec l’Ecole de plein air, construite aprèsla guerre sur les plans de Jacques Gréberà la limite de la campagne pour lutterprécisément contre ce fléau, la créationd’une piscine municipale rue des Champs,en plein centre-ville, doit être un emblème,le grand projet symbolique de «la villesainte du socialisme », comme l’appelaitson député Jules Guesde, destinéà démontrer avec le plus grand éclatles capacités et l’exemplarité d’unemunicipalité issue du monde ouvrier.Dans ce but, Jean Lebas fait appelà un architecte lillois, Albert Baert, qui, faitrelativement exceptionnel pour l’époque,a déjà construit deux piscines, l’uneà Lille, l’autre à Dunkerque. Franc-maçon,il est assez proche d’une bourgeoisieplutôt progressiste avec laquelle le mairesocialiste de Roubaix doit composer.Son choix est donc tout aussi stratégiqueque technique. L’entreprise est complexe :Albert Baert doit répondre à la fois auxexigences hygiénistes de la municipalité, augoût pour le sport qui se développe alorset au souci de magnificence que requiertce projet éminemment politique. Avec lescontraintes d’un terrain qui, quoique vaste, 1