Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française
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EN COUVERTURE
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h
le plus souvent des départements du Midi
méditerranéen et de l’Est). C’est l’application
à l’Algérie de la loi du 26 juin 1889 sur
la naturalisation automatique des enfants
d’étrangers nés en territoire français qui a
dissipé la crainte du « péril étranger » en
absorbant les nouvelles générations dans
un nouveau « peuple algérien » de nationalité
française (mais qui se définissait
parfois en s’opposant au peuple français
de France, voire en rêvant d’une « Algérie
libre » suivant l’exemple des Cubains
révoltés contre l’Espagne).
En réalité, l’idée que l’Algérie était destinée
à devenir soit une nouvelle province
française, soit une colonie de peuplement
vouée à devenir indépendante comme les
Etats-Unis d’Amérique et comme la plupart
des autres colonies du Nouveau
Monde était une illusion, fondée sur la
méconnaissance des réalités démographiques.
La colonisation, comprise au sens
d’installation d’un peuplement nouveau
et pas seulement d’une souveraineté politique,
supposait une immigration massive.
Or celle-ci ne fut jamais suffisante pour
submerger la population indigène, que de
nombreux auteurs influencés par le darwinisme
social s’imaginaient vouée à disparaître
parce que moins adaptée aux conditions
du monde moderne. La natalité
française, en repli depuis la fin du XIX e siècle,
ne le permettait pas. Dès lors, le peuplement
français ou européen ne devint
momentanément majoritaire que dans les
VIN DE PAYS Ci-dessus : un propriétaire français et ses employés dans l’Algérois,
en 1959. Vers 1950, l’agriculture en Algérie n’employait que 9 % de la population active
européenne, qui s’élevait alors à 354 500 personnes sur un total de plus d’un million
d’Européens en Algérie. La population européenne, principalement d’origine
métropolitaine, espagnole, italienne ou juive, représentait 10 % de la population totale
d’Algérie en 1954. Page de droite : des pêcheurs dans un port de l’Algérois, en 1959.
principales villes, surtout dans la moitié
occidentale du pays (Algérois, Oranie). La
mainmise sur la terre et sur ses principales
productions, jugée nécessaire par l’Etat
pour installer ce peuplement nouveau par
la création de villages (colonisation officielle)
ou par des lois facilitant les achats
de terres (colonisation privée), ne toucha
que des régions limitées (surtout les plaines
de l’Algérois et de l’Oranie) et la population
n’y fut pas, même là, majoritairement
européenne. Les populations indigènes
ne se sentirent pas moins dépossédées,
refoulées et exploitées à la fois par
les colons et par l’Etat colonial, en contradiction
avec le discours assimilateur que
diffusait la République française.
Pourtant, les Français d’Algérie ne correspondaient
pas à l’image du « colon »
esclavagiste héritée de la colonisation
d’Ancien Régime (le « colon fumant cigare
et monté sur Cadillac » évoqué par Albert
Camus).En dépitdefortesinégalitéssociales,
ils étaient dans leur majorité de condition
sociale modeste (artisans, boutiquiers,
employés, fonctionnaires). La sousreprésentation
parmi eux des « colons »
(agriculteurs) et des ouvriers d’industrie
était une caractéristique originale, dont la
métropole allait se rapprocher dans les
décennies suivant la guerre d’Algérie.
Réputés très à gauche sous le Second
Empire, ils l’étaient beaucoup moins sous
la III e et la IV e République, mais toutes les
tendances politiques y étaient représentées,
de l’extrême droite colonialiste à
l’extrême gauche communiste.
Les Juifs originaires d’Algérie n’étaient
pas,quantàeux,unanimementconsidérés
comme une partie de ce « peuple algérien
», mais comme des «Arabes de confessionisraélite»(selonlegouverneurgénéral
de Gueydon) : leur élévation à la citoyenneté
française par le décret Crémieux
d’octobre 1870 fut violemment contestée
par un puissant mouvement «antijuif » en
pleine affaire Dreyfus, quand de violentes
émeutes antijuives portèrent Max Régis à
la mairie d’Alger, puis dans l’entre-deuxguerres,
avant d’être annulée par le régime
de Vichy en octobre 1940, et par le général
Giraud de nouveau en mars 1943. C’est
seulement après l’annulation de l’abrogation
du décret Crémieux, décidée le
21 octobre 1943 par le Comité français de
libération nationale présidé par le général
De Gaulle, que les Juifs algériens furent
définitivement intégrés dans le peuple