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Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française

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PHOTOS : © IONESCO/GAMMA RAPHO.

français d’Algérie, au point que le chanteur

Gaston Ghrenassia (alias Enrico Macias),

juif de Constantine, en devint le plus célèbre

de ses personnages emblématiques.

Ainsi s’est formé peu à peu un ensemble

hétérogène, constitué par le rapprochement

progressif de plusieurs groupes d’origines

diverses dans le cadre d’une citoyenneté

française commune.

Un peuple nouveau

De nombreux auteurs, à la fin du XIX e siècle

et au début du XX e siècle, parlaient de la formation

d’un peuple nouveau par la «fusion

des races » française et européennes, qu’ils

appelaient le «peuple algérien ». A partir du

lendemain de la Première Guerre mondiale,

ces«Algériens»venusausecoursdelamère

patrie se considérèrent cependant comme

des Français vivant dans une nouvelle province

française. Leurs perspectives d’avenir

étaient pourtant bloquées par le fait qu’ils

s’accroissaient moins vite que la population

indigène musulmane arabophone ou berbérophone,

qui restait très largement majoritaire

(la population dite « européenne »

ayant culminé en pourcentage à 14 % de la

population des trois départements algériens

en 1926), et qui refusait dans sa masse

d’acquérir la nationalité française parce qu’il

lui aurait fallu pour cela abandonner individuellement

le statut personnel coranique

(ou les coutumes kabyles) pour se soumettre

volontairement au Code civil français.

Quand apparut un mouvement nationaliste

d’inspiration communiste, l’Etoile

nord-africaine,qui revendiqua pour la première

fois en 1927, par la voix de son représentant

Messali Hadj, l’indépendance de

l’Algérie et de toute l’Afrique du Nord, la

signification de l’expression « peuple algérien

» fut remise en question. Le mot

« Algérien », qui désignait au départ en

français la population française implantée

en Algérie par la colonisation ou assimilée

en droit, commença alors à devenir problématique.

Défini au début du XX e siècle

comme le nom d’un peuple nouveau, né

de la fusion des «races » européennes,il se

heurta désormais à la concurrence d’une

autre acception du même mot, qui l’identifiait

désormais à la majorité indigène et

musulmane de la population du pays.

Ce nouveau sens apparut en métropole

à la suite du début de l’immigration de

travailleurs algériens qui commença dans

les années précédant 1914 et qui fut accélérée

par la GrandeGuerre. C’est pourquoi

les Français de France commencèrent à

se demander qui étaient les vrais « Algériens

», comme l’indique ce dialogue

entre un étudiant d’Alger et une étudiante

métropolitaine lors du congrès de l’Unef

en 1922 : « Ainsi, vous êtes algérien…, mais

fils de Français, n’est-ce pas ? – Bien sûr ! Tous

les Algériens sont fils de Français, les autres

sont des indigènes ! » De moins en moins

évidente pour les métropolitains, cette

définition cessa tout à fait de l’être quand

le nationalisme musulman s’exprima de

plus en plus fortement en Algérie à partir

de 1937, avec l’implantation du Parti du

peuple algérien de Messali Hadj, et surtout

après la Seconde Guerre mondiale.

En juin 1940, l’invasion de la métropole

par les Allemands fit dépendre, pour la

première fois, la survie de l’indépendance

française de la capacité de résistance de

l’Algérie et du reste de l’empire colonial. Les

autorités civiles et militaires assuraient

alorslegouvernementdurefusdeladéfaite

par toutes les populations, mais après la

signature de l’armistice le 22 juin 1940, elles

se soumirent à la décision du maréchal

Pétain. Le nouveau régime de Vichy plaça

partout des généraux ou des amiraux à la

place des gouverneurs ou des préfets de

la République, supprima la démocratie et

priva les Juifs de leurs droits de citoyens

français accordés soixante-dix ans plus tôt,

en espérant que les musulmans se satisferaientdenepasêtrelesplusmaltraitésdans

leur pays. Mais la défaite française priva la

Francedesonprestigeetrépanditl’idéeque

le sort des musulmans dépendait désormais

de la volonté de «Hadj Hitler ».

Le débarquement anglo-américain du

8 novembre 1942 contribua à brouiller le

prestige de la souveraineté française. Les

anciens élus musulmans des assemblées

locales, à l’appel de Ferhat Abbas, rédigèrent

etsignèrentunManifestedupeuplealgérien

qui désavouait l’assimilation et réclamait la

formation par étapes d’un Etat algérien en

contrepartie de la nouvelle mobilisation

ordonnée par le général Giraud. Le général

De Gaulle, qui rejoignit Giraud à la tête d’un

Comité français de libération nationale

(CFLN) à Alger le 3 juin 1943 et l’évinça rapidement,

rejeta le Manifeste. Une nouvelle

armée d’Afrique, recrutée à la fois dans la

population française d’Afrique du Nord et

danslespopulationsindigènesdel’Algérieet

des protectorats voisins – dont les bases

avaient été posées clandestinement dès

1941 par le général Weygand –, équipée par

les alliés américains, commandée par le

général Juin puis par le général de Lattre

de Tassigny, porta victorieusement les

armesdelaFranceen1943,deTunisieenItalie,

puis des côtes de Provence (débarquement

du 15 août 1944) à Strasbourg, avant

d’envahir l’Allemagne du Sud et l’Autriche.

La France, représentée par le général

deLattre,participa,grâceàelle,àlasignature

de la capitulation allemande le 8 mai 1945.

Or, le même jour, le défilé de la victoire à

Sétif, dans lequel un cortège musulman

avait été autorisé à condition de n’exhiber

aucun emblème ou slogan contraire à la

souveraineté française, donna lieu à un

début d’insurrection qui se répandit à partir

de Sétif et dans les environs de Guelma. La

répression militaire, préparée par le général

DeGaulle,présidentdunouveauGouvernement

provisoire de la République française

(3 juin 1944), pour éviter que «l’Afrique du

Nord ne glisse entre nos doigts pendant que

nous libérons la France », fit des milliers de

morts.Ellepermitlemaintiendelasouveraineté

française pour une dizaine d’années,

mais au prix d’un fleuve de sang.

Durant les dix années suivantes, une

course de vitesse opposa la France au

83

h

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