Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française
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L’UN CHASSE L’AUTRE
Page de gauche :
le 29 avril 1918, deux
mois après la signature
du traité de Brest-
Litovsk, Pavlo
Skoropadsky, général
de l’armée russe, se
fit proclamer hetman
d’Ukraine avec le
soutien de l’Allemagne
qui occupait le
territoire. L’armistice
de novembre signé
et les Allemands
partis, l’hetmanat
de Skoropadsky laissa
place à la rivalité entre
la République nationale
d’Ukraine (UNR) et
la République socialiste
soviétique d’Ukraine
(RSSU). Ci-contre : un
jeune militant prorusse
drapé dans le drapeau
communiste, en 2014,
à Donetsk, dans
la région séparatiste,
à l’est de l’Ukraine.
nationalistes ukrainiens de Galicie, Stepan
Bandera. Les nazis voulaient avant tout
récupérer les riches territoires ukrainiens
comme une colonie de peuplement germanique.
Or les formations bandéristes et les
groupes d’extrême droite ukrainiens qui, au
début de la guerre, combattaient aux côtés
des Allemands ou leur prêtaient main-forte
pour exterminer les Juifs dans la «Shoah par
balles » constituaient une entrave à ces
plans.Apartirdumilieude1943,faceàl’hostilité
nazie, les partisans de Bandera, réunis
au sein de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne
(UPA), se virent contraints de lutter
sur deux fronts : contre les «moscoutairesbolcheviques
», ce qu’ils faisaient depuis
deux ans, mais aussi contre les Allemands.
Bien entendu, d’autres partisans ukrainiens
– surtout dans le Donbass, mais pas
seulement – luttaient quant à eux du côté
de l’Armée rouge. Le clivage entre les deux
extrémités de l’Ukraine – la Galicie fortement
germaniséeet l’Est russien–semanifesta
cette fois dans le déchirement d’une
explosion de violence entre deux totalitarismes,
le nazi et le soviétique, avec des
combattants armés des deux côtés.
A la fin de la guerre, la Galicie et d’autres
territoires qui n’avaient jamais été russes
furentincorporésdéfinitivementàl’Ukraine
soviétique et connurent une soviétisation
forcée particulièrement violente, avec la
destruction systématique des élites intellectuelles
et politiques de l’ancien régime et la
spoliation généralisée qui accompagnait la
collectivisation des terres, du commerce et
des moyens de production. Cela ne fit que
renforcer l’aversion de ces populations à
l’égard du pouvoir soviétique, assimilé, évidemment,
à un pouvoir russe.
En 1954, pour célébrer officiellement le
300 e anniversaire du traité de Pereïaslav et
del’unionentrelaRussieetl’Ukraine,leParti
communiste soviétique fit cadeau à cette
dernière de la Crimée, qui n’avait jamais été
ukrainienne et était peuplée très majoritairement
de Russes. Les frontières intérieures
de l’URSS étant purement administratives,
cela ne changea rien pour les populations
concernées, du moins tant que perdura le
pouvoir soviétique. En revanche, après
l’effondrement de 1991 et l’indépendance
des républiques fédérées, la question de la
place des populations russes de Crimée et
du Donbass dans l’ensemble ukrainien se
posa avec une gravité croissante. Tant que
les premiers présidents de l’Ukraine indépendante,
Leonid Kravtchouk et Leonid
Koutchma,préservèrent un équilibre politique
entre l’est et l’ouest du pays, lorgnant
vers l’Europe mais ménageant la Russie, la
situation resta sous contrôle. En revanche,
après la « révolution orange » de 2004, le
pouvoir prit une orientation de plus en plus
pro-occidentale et antirusse. Les tensions
entre l’est et l’ouest de l’Ukraine s’exacerbèrentetatteignirentleurparoxysmelorsdela
crise de l’Euromaïdan, en 2013-2014, entraînant
le pays dans la guerre civile, jusqu’à ce
que le pouvoir russe en prenne prétexte, en
2022, pour envahir le pays. 2
Ecrivain et journaliste, spécialiste
de la Russie et de l’ex-URSS, Pierre Lorrain
est l’auteur de Moscou et la naissance d’une
nation (Bartillat, 2010) et de La Fin tragique
des Romanov (Bartillat, 2018).
À LIRE de Pierre Lorrain
L’Ukraine,
une histoire
entre deux destins
Bartillat
688 pages
25 €
15
h