L’ESPRIT DES LIEUX126hT RÉSORSVIVANTSPar Sophie HumannLavoix deNotre-DameA la veille des Journées européennesdes métiers d’art, rencontre,dans l’Hérault, avec les facteursqui restaurent les dix-neuf sommiersdu grand orgue de la cathédrale.
est penché sur un coffre dechêne carré, trapu, dont il badigeonneL’hommesoigneusement les barreaux formantplancher, à mi-hauteur, d’une couche decolle, mélange de poudre d’os et de nerfs,maintenue au chaud en permanence.«L’os adhère très bien, le nerf, lui, permetd’assouplir, précise-t-il. Ensuite, je vais fixerla peau de mouton dessus avec une collede lapin, enrichie de pigments d’os ! Pour lesorgues historiques, on utilise toujoursces colles naturelles réversibles. »Nous sommes à Lodève, dans l’Hérault.Olivier Henry fait partie de l’équipe de laManufacture languedocienne de grandesorgues, établie dans une anciennefoulonnerie au bord de la Lergue, une rivièrequi prend sa source un peu plus haut sur lecausse du Larzac, et ce coffre de chêne estl’un des dix-neuf sommiers du grand orguede Notre-Dame en cours de restauration.«Le sommier est une pièce maîtresse,explique Charles Sarelot, le facteur d’orgueset harmoniste qui gère la manufacturedepuis 1998, c’est un peu le cœur de l’orgue.Lorsque l’organiste enfonce une touche, unesoupape s’ouvre, l’air accumulé dans la partieMIRACULEUSEMENT RESCAPÉ Recouverts d’une poussière chargée de monoxydede plomb après l’incendie du 15 avril 2019 (page de gauche en bas), les tuyaux du grandorgue de Notre-Dame ont été démontés par les facteurs d’orgues entre août etdécembre 2020 (page de gauche en haut). Ci-dessus : à la Manufacture languedociennede grandes orgues de Lodève, dans l’Hérault, sont restaurés les sommiers. MathildeSarelot change les joints pour assurer leur étanchéité. Les traits de gouge dans le boispermettent au vent de s’échapper.basse du sommier pénètre dans les gravures,ces interstices entre les barreaux, et il estensuite distribué dans les tuyaux fichés dansla chape, qui ferme le sommier. »«Regardez ces tirettes de bois quicoulissent entre la chape et la gravure,montre-t-il en actionnant des planchespercées de trous. Ce sont les registres,que l’organiste active en tirant les boutonsde la console et qui donnent la couleur,le timbre de l’orgue : bourdon, trompette,hautbois… les sommiers du grand orguede Notre-Dame sont exceptionnels !s’émerveille-t-il. Seize d’entre eux datentencore de la création de l’instrument parAristide Cavaillé-Coll en 1868. Ici, à Lodève,nous avons effectué des restaurationscomplètes des grandes orgues descathédrales d’Aix-en-Provence, d’Agen,de Carcassonne, de Lodève… Jamais© PATRICK ZACHMANN/MAGNUM PHOTOS. © AFP. © SOPHIE HUMANN.je n’avais vu de sommier aussi grand que lesdeux sommiers de pédale de Notre-Dame :chacun d’entre eux mesure 2 m sur 2 ! »Pour que l’orgue sonne juste, le sommierdoit être parfaitement hermétique, d’oùl’importance des opérations d’encollage,et Mathilde Sarelot, novice dans le métier,colle, cette fois avec une poudre de poissondiluée, de nouveaux joints de feutre blancsur les trous qui accueilleront les tuyaux dugrand orgue de Notre-Dame. Par la fenêtre,un carré de soleil vient dorer la blondeurdu chêne, soulignant des stries obliquesplus sombres gravées dans le bois.Des tuyaux, il y en a partout dansl’atelier, certains en bois, la plupart en alliaged’étain et de plomb, à bouche ou à anche,de toutes les tailles. Ils n’appartiennent pasà l’instrument parisien mais à celui de lacollégiale Saint-Vincent de Montréal, dans 1127h