01.04.2022 Views

Le Figaro: le crépuscule sanglant de l'Algérie Française

  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

TERRE BRÛLÉE L’accord signé le 17 juin

1962 par Jean-Jacques Susini, au nom

de l’OAS, avec le FLN est rejeté à Oran, où

les derniers commandos OAS incendient

les réservoirs de la British Petroleum,

sur le port, le 25 juin (ci-contre). Depuis

des mois, la ville est quotidiennement

ensanglantée par l’affrontement qui

oppose FLN, OAS et forces françaises

(page de gauche, des soldats français,

en position sur un camion militaire,

patrouillent le 14 juin 1962 sur la place

d’Armes à Oran).

attendent-ils avec la plus grande curiosité

d’observer la fête prévue en ce jour pour

célébrer l’indépendance, définitivement

actée lors du référendum du 1 er juillet. La

bienveillance ou l’hostilité de la foule algérienne

permettra de déterminer si le départ

est inéluctable ou non, depuis l’aéroport de

La Sénia ou les embarcadères du port.

De la liesse à la fureur

Alors que le jour s’est levé depuis peu, un

bruit sourd commence à se faire entendre.

Des groupes joyeux venus des quartiers

musulmans ou de la périphérie d’Oran se

répandent dans les principales artères de

la ville. Il est à peine 8 heures du matin. Le

boulevardJoseph-Andrieu,leboulevard de

Sébastopol et le boulevard du Maréchal-

Joffre deviennent vite noirs de monde. La

foule converge vers la place Foch et l’hôtel

de ville. C’est un spectacle pittoresque et

assourdissant. Des vieillards coiffés de leurs

grands chapeaux traditionnels en paille, des

femmes couvertes de haïks à la blancheur

éblouissante, des hommes vêtus à l’européenne,

et bien sûr une foule de gamins qui

courent en tous sens… Des voitures peintes

en vert et blanc s’échappent des coups de

klaxon qui couvrent à peine les youyous

ininterrompus et surtout le slogan du jour,

«Ya ya Djazaïr ! », repris à pleins poumons

dans tous les cortèges. Quelques soldats de

l’ALN, épaulés par des auxiliaires temporairesoccasionnels(ATO),encadrentlesdéfilés

et se joignent volontiers à la liesse. Depuis

leurs balcons, sur le pas de leurs immeubles,

lesEuropéensobserventcetteeffervescence

sans la moindre crainte. Bien sûr, la veille,

quelques-uns d’entre eux ont été invités par

des amis musulmans à faire preuve de prudence

ce 5 juillet et à se calfeutrer, mais très

© PHOTO BY UPI/AFP. © KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO.

peu ont écouté leurs conseils. Le cœur est

serré, mais nul ne se sent vraiment en insécurité,

même si aucune fraternisation n’est à

espérer. Quelques insultes fusent, des doigts

d’honneur se tendent, mais rien ne laisse

présager un lynchage généralisé…

L’ambiance va cependant vite évoluer.

L’allégresse des premiers instants évolue

ici et là vers des scènes proches de la transe.

Sur le parvis de la cathédrale d’Oran, qui se

dresseentreleboulevarddeSébastopoletle

boulevard Clemenceau, la statue équestre

de Jeanne d’Arc, affublée d’un drapeau algérien,

est prise d’assaut par des hommes et

des femmes électrisés par les battements de

mains et les cris lancinants. Vers 11 h 15, des

coups de feu claquent. Sans que l’on en

connaisse l’origine exacte, l’auteur est désignéd’emblée:ilnepeuts’agirqued’unpiednoir

ou d’un desperado de l’OAS, tenaillé

par l’obsession de faire un dernier « carton

». Il ne fallait que cette étincelle pour

que l’entrain de la foule ne se transforme en

fureur. Une gigantesque chasse à l’homme

démarre.Depetitsgroupesseconstituentet

se ruent à l’assaut des quartiers européens.

Armés de couteaux, de manches de pioche,

de haches, de pistolets ou même d’armes

automatiques, ils défoncent les devantures

des magasins, forcent les grillages,

1

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!