L’ESPRIT DES LIEUX118H© MUSÉE DU LOUVRE, DIST. RMN-GRAND PALAIS/CHRISTIAN DÉCAMPS/SP. © ASHMOLEAN MUSEUM, UNIVERSITY OF OXFORD/SP.
P ORTFOLIOPar Albane PiotdesLesoleilnoirpharaonsA partir du 28 avril, une expositionraconte, au musée du Louvre,l’épopée fascinante de l’antique Nubie,au temps des rois de Napata.Acte III. C’est le moment où toutbascule. « Di Napata, le gole »,répète, en un cri, Amounasro, leroi d’Ethiopie, alors que le généralégyptien Rhadamès vient involontairementde se trahir, en révélant le lieu paroù passeront ses troupes : les gorges deNapata. Leurs deux voix, dès lors, semêlent, l’un baryton, l’autre ténor, surune partition intense et dramatique.Rhadamès,celuiqu’Aïdaaime,dénoncépar la jalouse Amnéris, est condamné etemmuré vivant. Aïda l’Ethiopienne, lafille d’Amounasro, le rejoint dans sonsupplice, pour mourir avec lui plutôt quede vivre sans lui. O terra, addio…Avec Aïda, créé à l’Opéra khédivialdu Caire, le 24 décembre 1871, Verdisignait son triomphe et l’un des opérasaujourd’hui encore les plus célèbres aumonde. Il lui avait été commandé par levice-roi d’Egypte, Ismaïl Pacha, pourcélébrer l’inauguration du canal deSuez. Pour le scénario et le dessin descostumes, et par souci de vérité historique,Verdi avait demandé l’aide duplus grand connaisseur de l’Egypteancienne de l’époque : AugusteMariette. L’archéologue y avait révélétout l’intérêt qu’il portait à la civilisationencore bien méconnue des rois deNapata, dans cette région du sud del’Egypte que l’on qualifiait d’éthiopienne,de aethiops, traduction grecquede l’hébreu kush : Kouch, fils deCham, lui-même fils de Noé, à qui avaitété dévolue cette partie de l’Afrique.Aethiops,le«Pays-des-visages-brûlés »,terme par lequel les auteurs grecs del’Antiquité désignaient ce territoireaux contours changeants au sud del’Egypte, que l’on appela aussi Nubiedès le XII e siècle av. J.-C., sur les terresde l’actuel Soudan.Pour élaborer le livret d’Aïda, Mariettes’était précisément appuyé sur les textesde stèles dont les estampages serontvisibles lors de la grande exposition quiouvre ce printemps au musée du Louvre.Alors que 2022 marque le bicentenairedu déchiffrement des hiéroglyphespar Champollion et les douze ansde l’exposition « Méroé, un empire surle Nil », qui vit la première présentationen ces murs de ces mêmes contrées autemps de la fastueuse XXVI e dynastie, leLouvre s’apprête en effet à évoquer leroyaume qui précéda celui de Méroé :Napata, au pays de Kouch. Ce Napatadont les rois étaient parvenus à conquérirtoute la vallée du Nil, à unifier uneEgypte fracturée après la débâcle desSOUS LE SOLEIL EXACTEMENTCi-dessus : Tête d’une statue du dieuAmon-Rê de Thèbes trouvée à Sanam,XXV e dynastie, règne de Tanouétamani,quartzite (Oxford, Ashmolean Museum).Tanouétamani est le dernier souverainkouchite à avoir régné sur l’Egypte d’où ilfut chassé par les Assyriens en 663 av. J.-C.Page de gauche : Triade d’Osorkon, or, lapislazuliet pâte de verre, XXII e dynastie, règned’Osorkon II (Paris, musée du Louvre).Osiris, au centre, est entouré d’Isis, à droite,et d’Horus. Ce pendentif offert aux dieuxen ex-voto témoigne du prestige encoreréel d’un souverain se réclamant deRamsès, cent ans avant la conquête du roiPiânkhy de Napata, vers 720 av. J.-C.119H