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Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot

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Et en effet, argumentation et discours, cela forme un seul ensemble interactif. La<br />

principale difficulté dans la domaine des analyses discursives résulte de leur cloisonnement,<br />

de leur démembrement actuel en des problématiques trop restreintes pour rendre raison<br />

adéquatement des mécanismes discursifs. Les uns travaillent la présupposition dans une<br />

autolimitation aux marques linguistiques, laquelle évite de s’aventurer sur le terrain d’une<br />

topique et d’une doxa conçus comme des faits sociaux et historiques. Les autres limitent leur<br />

intérêt à l’argumentation «en forme» manifeste, comme enchaînement de propositions<br />

explicites censées accroître l’adhésion des esprits à une thèse donnée. Les autres renvoient<br />

les moments argumentatifs à une «logique naturelle» extriquée des contingences culturelles<br />

et sociales. D’autres encore ne voient que des «parcours narratifs», scotomisant la<br />

pragmatique comme l’exégétique, assimilant l’ordre de l’argumentable à celui du narrable<br />

par un passez-muscade artefactuel qui a pour premier tort de réduire la polyphonie des<br />

discours et de fétichiser l’immanence de schémas sémiotiques apparents. Les modèles de<br />

type génératif d’analyse du discours, beaucoup pratiqués il y a dix ans, prônaient une<br />

réduction du corpus de discours à l’expansion en surface de propositions de base, opération<br />

réductionniste parfois clarifiante, mais qui dans beaucoup de cas revient à la vulgaire erreur<br />

de jeter le bébé avec l’eau du bain.<br />

Il s’agit ici d’un cas particulier des misères ordinaires du travail académique, qui<br />

opère souvent le démembrement de totalités socialement pertinentes, la réduction<br />

doctrinaire, qui se donne pour naturelles des autolimitations qui visent à aseptiser l’objet<br />

d’étude, à le réduire à une entité technique, chimériquement homogène, et rendue idoine par<br />

le fait même à des manipulations mécaniques. En ce qui touche aux analyses des lexies<br />

persuasives ramenées à une typologie des arguments en forme manifeste, la critique de cette<br />

démarche est aisée; elle se base sur la discordance communément admise entre «argumenter»<br />

(comme stratégie discursive) et «persuader» (comme fonction illocutoire). En effet, si l’acte<br />

d’argumenter a pour visée pragmatique immanente la fonction de persuader ou, plus<br />

vaguement dit, d’augmenter le probable d’une thèse, tant s’en faut qu’on persuade<br />

seulement avec des arguments. On ne persuade pas d’abord avec des arguments exprimés en<br />

complémentarité entre passion et raison. La fonction persuasive excède de loin le recours à des<br />

manipulations pathétiques et à des raisonnements plus ou moins présupposés ou inférables; son analyse<br />

requiert une théorie globale des schémas cognitifs et «pathétiques» inscrits dans les textes, théorie qui<br />

englobe toutes les schématisations et les dérivations dont les discours sont les moyens – théorie qui<br />

englobe donc linguistique, rhétorique, psychagogie, gnoséologie, narratologie, pragmatique, doxologie et<br />

herméneutique.<br />

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