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Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot

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Le principe d’égalité lui-même est inscrit dans de nouvelles apories. Les doctrinaires<br />

collectivistes sont en fait incapables de seulement concevoir une société sans classe et sans<br />

hiérarchie: par «réalisme», ils perpétuent la division du travail, les échelles de rémunération,<br />

ils maintiennent une classe paysanne (à laquelle ils promettent le confort, l’hygiène et les<br />

conseils d’agronomes), ils réétablissent l’antagonisme entre élite compétente et masse<br />

exécutante. Leur société parfaite sans classe devient une utopie dans l’utopie même.<br />

L’éducation «égale pour tous» devient le principal organe permettant de produire des<br />

gestionnaires, des spécialistes, des techniciens, des savants, de faire s’épanouir les «esprits<br />

supérieurs»; on ne conçoit guère qu’il puisse en aller autrement, mais les futurs exclus du<br />

système perdent jusqu’au droit d’en éprouver du ressentiment.<br />

La démocratie collectiviste est censée former ce creuset où les volitions et les intérêts<br />

des individus se condensent et se fondent en une Volonté générale. Ici cependant, les<br />

antinomies deviennent de plus en plus brûlantes. Le centralisme planificateur contredit<br />

frontalement les idées d’autogestion qu’on développe également. On se flatte que les mesures<br />

de concentration massive qui inaugureront le régime collectiviste pourront s’appuyer sur la<br />

sanction démocratique, – mais (remarque un économiste «bourgeois» libéral détesté des<br />

socialistes, Eugène d’Eichthal) «reste à savoir si ceux qui pourraient s’en charger seront élus<br />

17<br />

par ces millions de futurs déplacés ou éliminés» ...<br />

Le discours socialiste fait alterner des projets disciplinés, militaristes, centralisés et<br />

autoritaires et des protestations de démocratie illimitée. Il imagine non seulement le plein<br />

contrôle démocratique d’un État-Leviathan, mais il le fait après avoir supprimé, par la force<br />

de sa logique, toute société civile autonome. Trois principes confèrent à l’État sa légitimité,<br />

mais ces principes ne sont pas arbitrés entre eux et ne peuvent l’être: l’appui de la<br />

communauté des citoyens-travailleurs, la compétence technique planificatrice et les progrès<br />

tangibles qu’elle doit engendrer, la conformité de son action enfin à la doctrine socialiste, à<br />

un programme qu’il importe de réaliser imperturbablement sur la durée de plusieurs<br />

générations. On dit vouloir un suffrage universel étendu, généralisé à tous les niveaux, le vote<br />

en permanence, toutes les fonctions électives; on ne veut pas voir la contradiction avec la<br />

conception centralisée et efficace du pouvoir. On feint de n’avoir pas à donner à<br />

17. E. d’Eichthal, Le Lendemain de la révolution sociale (Paris, Chaix, 1903), 39<br />

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