Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot
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Jean-Jacques Pauvert dont le nom est attaché à la lutte pour la liberté de l’édition<br />
littéraire («vingt ou trente condamnations», il ne sait plus lui-même) vient de publier aux<br />
Belles-Lettres un ouvrage, Nouveaux et moins nouveaux visages de la censure (1994). J’ai discuté<br />
ailleurs des termes de la définition qu’il propose de la censure. Son ouvrage reprend tous les<br />
textes que depuis trente ans, Pauvert a été amené à publier sur la question. Pauvert remonte<br />
même plus haut, et il a bien raison car l’histoire même de la censure devrait être un des<br />
grands arguments contre la censure «en synchronie»; je rappelle au passage que le Centre<br />
Pompidou à Paris a tenu en 1987 une intéressante exposition «Censure» – allant de l’an 1500<br />
à 1970. Ces textes de Pauvert portent moins sur la liberté absolue qu’il devrait y avoir de<br />
publier n’importe quoi, que sur l’absurdité, la pauvreté logique et le pharisaïsme des raisons<br />
avancées par les pro-censure dans toutes les affaires attestées depuis qu’il s’occupe de<br />
littérature et d’édition. Jamais, lui semble-t-il, la justification directe d’une entrave à la<br />
liberté d’expression n’est simplement proposée; toujours les censeurs parlent d’autre chose:<br />
de mérite ou de manque de mérite littéraires et artistiques (malentendu entretenu des deux<br />
côtés de la barricade juridique depuis Flaubert et Baudelaire), du danger de la lecture pour<br />
les esprits faibles et influençables (autrefois, au siècle passé, les paysans et les ouvriers<br />
tenaient ce rôle), de la nécessité de protéger contre les autres ou contre eux-mêmes les<br />
enfants, les femmes, les minoritaires, de la sécurité publique, du respect des religions... Au<br />
fond, Pauvert demande modestement qu’un jour on accepte de discuter d’entraves à la liberté<br />
d’expression sans y mêler ces considérations oiseuses.<br />
Les écrits de J.-J. Pauvert posent, à travers divers cas de censure morale (du côté du<br />
sexe) et de censure politique (du côté de l’extrémisme de droite – plus anciennement, de celui<br />
de gauche), la seule question perspicace, qui est: pourquoi si, dans des cas odieux, «extrêmes»,<br />
la censure est si nécessaire et si vitale pour l’ordre social, s’entoure-t-elle toujours pour<br />
arriver à ses fins de mauvaises raisons, de données truquées et d’abus de langage patents?<br />
C’est une très bonne question.<br />
D’autres essais français récents ont cherché à comprendre les militantismes de censure<br />
montants en les englobant dans des tendances idéologiques et civiques qui marquent notre<br />
contemporain et font contraste avec le passé récent. Je n’en citerai qu’une poignée, mais il en<br />
est beaucoup d’autres: les fanatismes vertueux dans le pays de Voltaire rencontrent<br />
nécessairement de vives et spirituelles oppositions – ce qui ne veut pas dire que ces<br />
dénonciations perspicaces aient la moindre influence sur une dynamique puissante et dont<br />
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