Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot
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diversité non-maîtrisable de jargons, de styles particuliers et de fonctions remplies.<br />
Cependant l’analyste du discours, quand bien même il travaille d’ordinaire sur un objet<br />
circonscrit, sait que le produit social global des dicibles et des scriptibles forme un ensemble<br />
en interaction. Les discours sociaux ne sont pas juxtaposés les uns aux autres en «genres» et<br />
secteurs indépendants, ils ne sont pas non plus aléatoires et contingents à des moments de<br />
communication. Ils forment dans un état de société un système composé, interactif, où<br />
opèrent des tendances hégémoniques et où se régulent des migrations. L’analyse du discours,<br />
dans son ordre propre, semble conduire à une reconquête de l’idée de totalité ou y inviter –<br />
ce qui ne veut pas dire à une recherche exclusive de l’homogène, du stable et de<br />
l’hégémonique, mais une totalité qui intègre le labile, l’émergent, le mouvant et<br />
l’antagoniste.<br />
Je voudrais signaler que mes recherches personnelles depuis dix ans visent justement<br />
à prendre «à bras le corps», à chercher à interpréter globalement tout ce qui se dit et s’écrit<br />
5<br />
dans un état de société . Mon objet d’étude qui, dans son autonomie relative en culture,<br />
forme une entité propre et un champ global d’interaction, c’est le discours social tout entier<br />
dans la complexité de sa topologie, de sa division du travail. Ce n’est que dans l’appréhension<br />
globale du discours social que peuvent, à mon avis, se réconcilier avec un certain degré<br />
d’objectivation et de «démonstrabilité», les trois étapes traditionnelles de la description, de<br />
l’interprétation et de l’évaluation des «manières de dire», des pensées, des écrits, et des<br />
genres et discours qui coexistent et interfèrent dans une culture donnée. Le discours social<br />
apparaît comme un dispositif problématologique, fait de leurres, d’énigmes, de dilemmes et<br />
de questionnements. Ce vers quoi il faut aller aujourd’hui – au-delà des constructions<br />
élitistes de l’histoire des idées et des interprétations mécanistes de la critique «idéologique»<br />
– c’est vers une théorie et une histoire du discours social et la tâche que je me donne est de<br />
contribuer à cela, renonçant pas là volontiers aux blandices du «texte pur» et concevant la<br />
tâche du doxographe, du critique socio-discursif, comme de caractère fondamentalement<br />
historiographique et sociologique.<br />
5 On pourra se reporter à certains de mes livres: Le Cru et le faisandé, sexe, discours social et littérature à la<br />
Belle Époque, Bruxelles, Labor, 1986, 202 p.; Le Centenaire de la Révolution, Paris, La documentation<br />
française, 1989; Ce que l’on dit des Juifs en 1889, Paris, Presses universitaires de Vincennes, 1989, 190 p.;<br />
Topographie du socialisme français, 1889-1990, Montréal, Discours social/Social Discourse, 1989, 283 p.; et<br />
surtout 1889: un état du discours social, Montréal, Le Préambule, 1989, 1167 p.<br />
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