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Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot

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Drumont, Kimon, Jacques de Biez, Corneilhan et les autres essayistes antisémites des<br />

années 1880 pratiquent à partir de là un collage cumulatif de tous les énoncés<br />

déterritorialisants qu’ils n’ont qu’à puiser au hasard dans la presse, les sciences et les lettres,<br />

théâtre, roman et poésie. Tout se passe comme si leur démarche n’exigeait qu’une seule idée<br />

régulatrice: c’est que la déterritorialisation ne saurait être justement cette séquence sans<br />

ordre de prédicats sans sujet; qu’il faut, en toute logique, pourvoir ces processus venus de<br />

nulle part et s’accumulant ad nauseam, d’une cause, d’un agent isolable, dont l’intérêt<br />

(«satanique» en effet) serait la dissolution du seul socius authentique. Pour interpréter en une<br />

historiosophie le paradigme de la déterritorialisation, au moyen d’une herméneutique,<br />

disons, aristotélicienne, il suffit de constater: – que cela se produit partout à la fois,<br />

cumulativement; – que cela détruit sans reconstruire quoi que ce soit où je me puisse me reconnaître;<br />

– que ces processus apparemment indépendants s’étayent les uns et les autres; –<br />

qu’il doit logiquement y avoir un sujet identifiable, exogène par définition au monde qui a<br />

produit et soutenu les anciennes valeurs, qui agit en ce sens, qui en est la cause et dont c’est<br />

l’intérêt; – que ce sujet peut être trouvé en posant la question cui prodest? et en accumulant<br />

des raisonnements inductifs; – que donc, l’antisémitisme loin d’être une doctrine démentielle<br />

(dans le cadre de l’hégémonie où il s’engendre) résulte d’un effort de rationalité appuyé sur<br />

le sens commun, avec tout son caractère non-dialectique, narratif-concret, binaire, inductif<br />

et cumulatif. C’est bien parce que dans une hégémonie donnée, l’antisémitisme apparaît<br />

comme un raisonnement normal, comme l’application – un peu systématique – de règles<br />

heuristiques qui sont celles de tout le monde, qu’il convient d’en traiter non comme d’une<br />

aberration que le malheur des temps aurait pourvu d’un rôle historique, mais comme la clé<br />

de la production idéologique où cette doctrine s’engendre de façon modale et non anomique.<br />

Édouard Drumont le disait bien, ou du moins il nous suffit de retourner sa phrase<br />

16<br />

pour le comprendre: «Les Juifs nous ont fait une société à l’image de leur âme» .<br />

L’antisémitisme est bien, au sens le plus fort, le simulacre ou «le symbole de la<br />

modernisation». Le «Juif» pourvoit d’un sujet la prédication schizophrène et restitue à<br />

l’antisémite l’identité dont le «monde moderne» ne cesse de le priver. Cela est possible<br />

notamment parce que le Juif idéologique est conçu comme l’impossible coexistence de la<br />

16 1891, p. 49.<br />

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