Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot
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devenue par une transformation à l’actif: «Qui de ces trois penses-tu s’est montré un voisin<br />
à l’égard de celui qui était tombé au milieu des brigands?» (36) La formulation de la question<br />
n’attend pas la réponse pour conclure puisqu’elle présuppose la règle que: Celui-là est mon<br />
voisin que je constitue tel par un acte de charité. Ainsi, le récit, au lieu de subordonner<br />
l’amour à l’identification de mon voisin, pose l’amour en premier et l’identification du<br />
prochain comme résultante.<br />
Une fois encore, pour en revenir aux jeux de langage, le Docteur de la Loi est «coincé»<br />
car il ne peut plus décemment faire remarquer que ce n’était pas tout à fait sa question; il<br />
répond donc modestement, toute superbe abandonnée: «Celui qui a exercé la miséricorde<br />
envers lui» – Iêsous lui dit alors: «fais donc cela et tu vivras» (37) reprenant ainsi l’impératif<br />
formulé au verset 28.<br />
Pour montrer qu’il a compris, le Docteur ne répond pas comme dans la fiction: le<br />
Samaritain, mais selon la Loi: l’homme de miséricorde. Mais nous n’oublions pas plus que<br />
lui, que l’homme de miséricorde est un Samaritain, c’est-à-dire un étranger à la Judée, à<br />
e<br />
Jérusalem (où se passe le récit du 2 cercle), un voyageur, un négociant; que pour répondre<br />
à la question: qui est mon voisin? il a fallu écarter deux Hiérosolymitains, le sacrificateur et<br />
le Lévite, pour s’identifier à un type qui était là par hasard. Dans le chronotope du récit on<br />
est sur une route de Judée entre deux villes de Judée; le personnage qui n’avait rien à y faire,<br />
c’est l’homme de Samarie. Cela est conforme à l’esprit antijudaïque qui marque de nombreux<br />
passages de Luc. Cela oblige en termes spatio-fictionnels à un décentrement: ce<br />
décentrement qui s’appelle humilité m’oblige à me porter à la périphérie, littéralement hors<br />
des frontières. C’est si je me mets là, dans «la peau» d’un Samaritain que je vais comprendre<br />
– et «heureux ceux qui ont des oreilles pour comprendre».<br />
Ainsi, le Docteur croit avoir compris non seulement la parabole, mais du même coup<br />
le Deutéronome, enjeu du deuxième cercle. Mais le lecteur qui cherche aussi à comprendre<br />
et qui reconnaît que Iêsous ne détrompe pas l’homme de la Loi qui a appris enfin la charité,<br />
doit se demander si l’effet de discours n’aboutit qu’à une allégorie de la charité qui répond<br />
seulement à la deuxième branche du commandement: «tu aimeras ton prochain». Et s’il se<br />
le demande et cherche à appliquer une lecture plus englobante, il dispose pour ce faire de<br />
deux règles et d’un paradigme.<br />
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