25.06.2013 Views

Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot

Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot

Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

socialement réglés du langage, aux visions du monde qu’il peut exprimer ou qu’il fait passer<br />

plus ou moins en fraude (et parfois, semble-t-il, à l’insu de celui ou de celle qui parle), aux<br />

manipulations psychologiques qu’il permet, aux variations, parfois soudaines ou en tout cas<br />

observables sur la courte durée, d’«acceptabilité» de certains mots, de certains procédés<br />

argumentatifs et «oratoires», de certaines images ou de certaines expressions, aux effets<br />

d’évidence et de «bon sens» que les usages institués du langage procurent et dont la lecture<br />

occasionnelle d’un journal d’il y a vingt ou trente années montre, avec le recul du temps,<br />

toute l’étrangeté et l’arbitraire. Étrangeté et arbitraire qui devraient faire sentir ou pressentir<br />

par conséquence logique toute l’étrangeté future (parfois l’odieux ou la niaiserie) de nos idées<br />

à la mode, de nos phraséologies dominantes et des évidences de langage dans lesquelles<br />

l’hégémonie culturelle de notre époque nous fait baigner.<br />

Mais enfin, si la plupart des chercheurs dans les sciences historiques et sociales font<br />

de l’analyse de discours par la force des choses, par la nature même du matériau sur lequel<br />

ces chercheurs travaillent, des archives orales ou écrites qu’ils interrogent, tout le monde ne<br />

fait pas de l’analyse du discours en le sachant. Il s’en faut que tous les chercheurs dans les<br />

sciences de l’homme soient sensibles à la particularité et à la matérialité du fait discours. À<br />

son caractère littéralement «incontournable» pour qui prétend penser le social et l’historique.<br />

Beaucoup traversent les échanges de parole ou les pages écrites sur lesquelles ils travaillent<br />

pour y trouver avant tout des «informations», des données sur le monde empirique, sur le<br />

monde dont ça parle, sans bien percevoir que le texte examiné (ou l’enregistrement) est tissu<br />

de mots, d’expressions, de manières de dire, de jargons et de styles, de stratégies pour<br />

convaincre et pour narrer qui ne vont pas de soi, qui ne sont aucunement universels ni<br />

naturels, qui sont propres à l’institution, à la culture, à l’identité sociale ou socio-sexuelle<br />

dont le locuteur ou le scripteur sont à un moment donné les porte-parole. Beaucoup ne<br />

perçoivent pas, dans ces «manières de dire», un ordre de faits socio-historiques propre duquel<br />

les «informations» et les «données» prétendues sont d’ailleurs inséparables.<br />

Certains chercheurs au contraire voient depuis plusieurs années dans les discours,<br />

dans les façons instituées de se servir du langage (ou de subir à travers ses usages imposés<br />

l’épreuve sociale de la «servitude volontaire»), dans les manières langagières de connaître le<br />

monde et de se connaître soi-même sur le marché des identités sociales, un ordre propre, un<br />

ensemble corrélé et «co-actif» de faits qui ont une relative autonomie et qui appellent par là<br />

la constitution d’un corpus d’instruments d’analyse et d’interprétation. De ces derniers, on<br />

6

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!