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Interventions critiques (Volume I) : Questions d ... - Marc Angenot

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«biopolitics» et «moral panic» etc... Esprit de censure, c’est à dire justification «vertueuse»<br />

et civique, et légitimation insidieuse de l’interdit porté sur certaines idées, sur certaines<br />

formes d’expression, – suspicion, restrictions mentales et blâme à l’égard de l’ancienne<br />

exigence de liberté d’expression pleine et sans réserve, réclamée depuis l’aube des temps<br />

modernes par l’artiste, l’écrivain, le savant et l’universitaire, le cinéaste, le journaliste.<br />

Cet esprit de censure (qui implique aussi de la part des générations contemporaines<br />

une intériorisation progressive de l’autocensure, une crainte bien compréhensible d’exprimer<br />

des idées que les anciens inquisiteurs eussent qualifiées de «téméraires») se répand et occupe<br />

peu à peu le terrain conquis, et ce, au bout de nombreux et récurrents débats.<br />

Le débat sur la censure, aujourd’hui comme par le passé, forme un nœud gordien de<br />

contradictions et d’apories. Il faut partir de ces apories et les montrer à de certains égards<br />

insurmontables – ce qui ne veut pas dire qu’on ne puisse porter quelque jugement en cours<br />

d’analyse ni éliminer quelques sophismes. J’ai très souvent rencontré des intellectuels, et très<br />

souvent lu des pétitions de littérateurs et d’artistes qui (comme le formule le Dictionnaire des<br />

idées reçues) tonnaient contre «toute forme de censure». Ces intellectuels assumaient<br />

oratoirement leur rôle de clercs en affirmant le grand principe de tolérance aux images et aux<br />

idées. Mais il apparaissait bientôt, en engageant la discussion, que leur indignation n’avait<br />

pas la portée générale qu’ils croyaient plus ou moins philistinement ou étourdiment pouvoir<br />

lui donner, que leur tolérance à la liberté de toute forme d’expression ne dépassait finalement<br />

pas ce qu’en leur for intérieur, ils jugeaient à peu près tolérable. Typiquement, des<br />

intellectuels de gauche libérale trouvaient à la fois victorienne et dangereuse pour les libertés<br />

publiques l’idée d’une censure de la «pornographie» – à l’égard du moins de consommateurs<br />

adultes. Ils étaient cependant portés, dans le même temps, à fixer des limites à la<br />

«propagande raciste» et à l’expression d’autres militantismes droitiers et haineux, à accepter,<br />

en hésitant un peu, en ce secteur l’idée de législations susceptibles d’éradiquer ou de réduire<br />

à la confidentialité groupusculaire de telles doctrines et propagandes. Contradiction, du<br />

moins contradiction quant au principe qui, de toute évidence, n’était pas vraiment celui qui<br />

les guidait et qu’ils étaient prêts à défendre jusqu’au bout – et contradiction indéfiniment<br />

prolongée: on a vu en France (et sans doute ailleurs) des historiens «de gauche», alarmés et<br />

indignés par la poignée de négationnistes et de révisionnistes du génocide des Juifs par les<br />

nazis, dire ensuite leur malaise le jour où une législation était déposée et formulait pour eux<br />

ce cas de censure en des termes positifs, c’est à dire par un texte de loi qui ne pouvait que dire<br />

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